jeudi 5 novembre 2020

4. La voisine d’en face



 
La concierge remarque que des colis s’accumulent depuis des semaines sur le palier de Bernard, le locataire du 4ème. Comme c’est l’été, ça commence à empuantir la cage d’escalier. Elle se demande si Bernard est mort et prévient la police. Une jeune inspectrice qui s’ennuie, Konan, se déplace.

Konan, qui regarde trop de séries, crochète la porte de l’appartement. A l’intérieur tout est impeccablement bien rangé et ça pue le renfermé. Elle contacte les hôpitaux à tout hasard. Rien ! Elle appelle le supermarché du coin dénoncé par la marque sur les cartons devant la porte. Le gérant explique : Ce client passe toujours ses commandes par internet, chaque semaine, 4 semaines à l’avance ; il est livré chaque vendredi et cela dure depuis plus de 3 ans… Oui, j’ai bien dit 3 ans… C’est une légende pour notre supermarché.

La concierge confirme : Bernard n’est pas sorti de chez lui depuis plus de 3 ans, depuis le Premier Confinement.

Konan aimerait comprendre pourquoi quelqu’un se confine pendant aussi longtemps. Même si ses souvenirs des confinements se sont estompés, elle se souvient combien ces temps ont été difficiles pour elle. Elle découvre un répertoire papier qui traine sur un bureau, un de ces vieux trucs que personne n’utilise plus. Ça devrait peut-être lui permettre de savoir ce qu’est devenu Bernard.

Elle commence par l’entrée maman du répertoire. Une voix jeune : « Il n’appelle jamais. Il n’a jamais été très affectueux. Je ne lui ai pas parlé depuis une paye, le confinement peut-être. Je me suis même demandé s’il était mort du virus. » Et la mère n’a pas cherché à savoir ? Le père de Bernard est mort l’année juste avant le confinement.

L’entrée elle du répertoire : « Bernard était mon petit ami ; les premiers jours du confinement, il m’appelait plusieurs fois par jour, et puis il a arrêté. » Comme Konan insiste, la jeune femme ajoute : « Ah oui, j’aurais pu appeler moi aussi. » Elle aurait pu ?

Sur le bureau, Konan remarque aussi un cahier. Chaque ligne consiste en quelques caractères. Le cahier commence comme cela : « Je suis entré », « en confinement », « le 17 mars »…

Je suis entré - en confinement - le 17 mars - 2020. J’obéis - rigoureusement - aux règles - de distanciation - sociale. - Je ne sors - jamais de - mon appartement. - Difficile - de se faire - livrer. - La jolie - brune de - l’autre - côté de - la cour m’a - fait un signe - de la main…

C’est tout bêtement un journal de confinement, un journal insipide, ennuyeux. Seule la forme est intéressante. Konan découvre assez vite sa règle : Bernard s’est fixé une limite de 7 caractères par semaine. Quand il arrive au septième caractère, il finit le mot courant et il s’arrête. Ce n’est pas un stakhanoviste de l’écriture, Bernard.

Des dates de loin en loin permettent de s’y retrouver. Konan surfe le temps pour découvrir la fin de l’histoire. Au détour des pages, elle comprend que Bernard se satisfait du confinement, qu’il s’y plait finalement plus que dans la vie d’avant, qu’il n’a pas l’intention de faire autre chose tant que l’héritage de son père tiendra. Konan est impressionnée par le vide sidéral de la vie sociale de Bernard. Ça ne semble pas gêner le reclus de ne voir personne si ce n’est de loin en très loin cette voisine qui lui fait signe de l’autre côté de la cour. Il enregistre qu’un compagnon s’installe chez elle, que celui-ci disparait après quelques mois. Enfin, il se passe quelque chose : Bernard parle à la voisine ! Konan se dit qu’il serait temps après des années de voisinage.

Les derniers mois, Bernard parle plusieurs fois de la voisine, qui gagne un nom « Amélie ». Le suspense est insupportable, à quelques caractères par semaine, jusqu’à la dernière entrée… où il s’autorise à violer sa limite de nombre de caractères : « Je pars demain avec Amélie. » Ce n’est peut-être pas un bourreau de travail en termes d’écriture, mais c’est un bourreau des cœurs, Bernard.

Konan cherche à joindre Amélie qui est prof dans un collège du 9-3, fermé pour les vacances. La mère de la jeune femme, ses amis ne savent pas où elle est. Ils sont inquiets ; cela ne lui ressemble pas du tout de rester aussi longtemps sans donner de ses nouvelles.

Konan aimerait croire au happy end amoureux, penser qu’Amélie et Bernard sont partis en voyage de noce, pourquoi pas à Venise. 

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