vendredi 13 novembre 2020

8. La prochaine vague




Mia aimerait qu’elle arrive cette troisième vague ; ya rien de pire que d’attendre Godot. Samuel préfèrerait pas ; il a peur des hôpitaux qui refusent les malades, peur surtout de ne plus rien avoir à cloper et à picoler.

Quand ils n'ont plus rien eu, ils ont préféré la rue que de demander de l'aide.  Ils savaient que ce serait dur. Ils n'ont pas été déçus.  A leur âge, avec le virus et le froid, il est probable que la prochaine vague sera pour eux la der des ders. 

Ils n’ont pas de tune pour acheter des masques. Ceux qu’on leur a donnés sont sales et ils n’ont pas de machine pour les laver à 60 degrés ou à quelque température que ce soit, pas d’endroit pour se laver les mains ou le reste. Ils n’ont rien pour tenir Covid à distance. Les gestes barrières ? Expliquez leur comment on fait dans la rue ! Si on leur offre de partager une bouteille de bière, de pinard, ils ne sont pas Crésus pour refuser. Et les poignées de main sont trop rares pour qu’ils les boudent.

Un jour, Mia et Samuel en ont eu marre de leur tente humide et froide dans le passage sous les Magasins généraux. Ils avaient besoin d’autre chose, de voyager... Ils ont découvert la maison de leurs rêves dans une petite rue tranquille, rive Gauche. Cela n’a pas été compliqué d’entrer. Ils s’y sont installés pour attendre la troisième vague. Les rares voisins qui se sont aperçus de leur présence, les ont acceptés sans poser de question. 

Au début, Samuel ne voulait pas rester : c'est pas chez nous ; on n'a pas le droit. Mia a trouvé l'argument pour le convaincre : tu crois que c'est juste ces milliers de mètres carrés inoccupés et nous dans le froid ?

Mais il n'y a pas que ça qui inquiète Samuel. 

Il fait souvent le même cauchemar.  Une légiste qui ressemble à Bones, l’anthropologue de la série télé, arrive avec son équipe pour fouiller le jardin à la recherche de cadavres. Elle dit en français :

  • Je sens au fond du jardin la présence de deux corps. Un couple. Elle a 74 ans et lui 76. Morts récemment. Vous êtes certains qu'il n'y avait personne dans cette maison quand vous êtes arrivés ?
  • Non Madame, répond Mia. Elle était vide.

Le plus souvent, Bones ne trouve rien. Parfois, Samuel se réveille en sueur.

Quand il raconte à Mia, celle-ci rigole : « Te prends pas la tête, my love. Profite du toit, du lit, de la télé, de la cuisine, de la salle de bain… C’est pas tout le monde qu’a  ça. » 

Dans un autre cauchemar, il répond aux questions d’une juge qui ressemble à celle de « Boulevard du Palais » :

  • Votre épouse nous dit que vous avez enterré au fond du jardin le couple qui habitait la maison quand vous êtes arrivés. Est-ce que vous continuez à nier ?
  • Madame la Juge, Mia raconte parfois n’importe quoi. Je crois que la maison était vide quand nous sommes arrivés.
  • Vous croyez ? Vous n'en êtes pas certain ?
  • Je ne sais plus.  Je ne me souviens plus. Vous savez avec les années, j’ai des pertes de mémoire. Il m’arrive même de tomber.

À chacun son confinement

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