C’est l’histoire de Josette qui a eu la chance de vivre longtemps, très longtemps, suffisamment longtemps pour finir sa vie dans un Ephad. On ne va pas la plaindre, son Ephad est un trois étoiles, avec de grandes chambres et un beau parc. Finalement, elle n’y est pas si malheureuse. Bien sûr, elle aimerait bien être encore jeune ; mais ça, ce n’est pas possible. Alors, elle ne se plaint pas plus que ça… jusqu’au Covid.
Elle s’est vite retrouvée confinée. Comprendre par là qu’elle n’avait plus le droit de sortir de sa chambre, qu’elle ne voyait plus personne à part infirmières et aides-soignantes. Entourée de héros de la deuxième ligne de front, elle a plongé dans un ennui mortel vite teinté d’une ombre de paranoïa. Sa résidence avait mué en camp d’internement. On la punissait d’être exigeante, « chiante » comme elle avait entendu l’une de ses tortionnaires se plaindre à une autre.
À la télé, on ne parlait plus que de Covid19. Au secours ! De toute façon, à 95 ans, qu’avait-elle à craindre ? Qu’est-ce qui aurait pu être pire que de rester seule dans sa chambre, à manger des repas encore plus insipides et froids que d’habitude, à sentir ses muscles s’ankyloser, ses neurones se nécroser l’un après l’autre ? Tout ça pour ça, pour un Covid de rien du tout qu’elle attrapât de toute façon.
Résultat des courses, elle fut exfiltrée vers une clinique incertaine, des heures d’ambulances. Comme elle n’entendit pas, ne comprit pas les explications qu’on lui donnait, elle trouva sa propre interprétation : on me transfère en catimini dans un mouroir pour m’y laisser crever parce que je suis vieille, inutile, trop conne.
Alors elle fit la seule prière qu’elle connaissait et attendit la mort.
Seule, hors de sa zone de confort, de son monde à elle, elle ne comprenait pas de quels médicaments on l’abreuvait. Des kinés insistaient pour lui infliger des tortures presque quotidiennement. Elle avait égaré son sonotone. Et le pire peut-être, son téléphone mobile ne fonctionnait plus et personne ne prit le temps de le faire marcher.
Le temps passa et Josette ne mourut pas. Contre toute attente, contre les statistiques, elle s’accrocha. Il faut croire qu’elle avait la peau dure.
La capo cheffe a déclaré un jour que la vieille dame, qui n’arrivait plus à se lever, à parler, à peine à se nourrir, était guérie. Si c’était ça la guérison, Josette aurait préféré mille fois la mort. Mais ils avaient sans doute besoin du lit pour torturer une autre vieille, un petit vieux.
Josette a retrouvé son Ephad. Elle a reconnu le parc, le personnel, mais pas sa chambre : ils l’ont installée dans l’espace des rescapés covidés, des pestiférés. Elle a pleuré ses meubles, ses photos, les reliques de sa vie d’avant l’Ephad. Elle a retrouvé avec un immense plaisir une infirmière qu’elle aimait bien. Elle a même été contente de revoir les femmes de chambre qui la maltraitaient. Elles étaient quand même moins pires que celles de la clinique Dont-On-Ne-Dit-Pas-Le-Nom.
La cuisine est toujours aussi mauvaise. La nuit, elle rêve du restaurant chinois du bout de la rue où son amie de l’extérieur l’emmenait déjeuner régulièrement. Son téléphone fonctionne à nouveau. Elle parle à ses amis, sa famille, ou plutôt elle essaie, parce qu’elle entend mal, elle ne comprend rien, ça la fatigue. Son mari appelle tous les jours. Avec lui, elle comprend. C’est vrai qu’elle sait à l’avance de quoi il va parler : ses genoux douloureux, son pastis quotidien, son foot.
Les semaines passent et elle en a marre de lutter. Mais, comme dit le docteur : vous remontez la pente, alors accrochez-vous !
Josette va mieux. Quand elle s’est levée pour aller en déambulateur jusqu’à la salle commune où son amie du monde libre l’attendait derrière une vitre, les aides-soignantes lui ont fait une haie d’honneur et ont applaudi.
Josette va mieux. Seule ombre au tableau : son mari n’appelle plus. C’est vrai qu’il est mort depuis plus de vingt ans.
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