Un jour il a fallu choisir son camp : d’un côté ceux qui méprisaient le virus et hurlaient que le gouvernement mettait en péril les libertés les plus fondamentales, de l’autre ceux qui cédaient à la panique et ne comprenaient pas le laxisme de ce même gouvernement, incapable de protéger la santé des français.
C’est l’histoire d’un couple qui s’est divisé sur le sujet.
Elle a clairement choisi le camp du mépris, celui des inconscients, essayant plus ou moins inconsciemment de vivre comme si la Covid n’existait pas. Bien coaché par son époux, elle connaissait par cœur les gestes barrières et les règles de distanciation physique. Cela ne l’empêchait pas de sortir une fois sur deux sans masque. Quand on le lui faisait remarquer, elle récupérait un vieux machin qui trainait depuis des jours dans sa poche, qu’elle mettait n’importe comment, bien sûr. Elle faisait partie de ces personnes qui ne pouvaient s’empêcher de proposer la poignée de main. Il lui arrivait même de biser furtivement des personnes aussi insouciantes qu’elle : « on enlève ces machins et on s’en claque deux » ou « encore deux que Covid n’aura pas ! »
Elle ne se lavait pas plus les mains qu’avant la crise sanitaire, c’est dire qu’elle se les lavait rarement. En plus, elle se les lavait en deux temps trois mouvements, « tchic tchac » comme on apprend qu’il ne faut pas faire dans les écoles, bien loin des deux happy birthdays ou même d’un seul. Et le reste était à l’avenant.
Au contraire, il avait choisi le camp des raisonnables, celui des pétochards, comme elle disait. Il se complaisait dans l'obsession de tenir la Covid à distance. Il lisait tout ce qu’il trouvait sur l’épidémie. Il se lavait les mains cent fois par jour, à chaque fois religieusement, 30 secondes minimum avec tous les gestes, et partout, la paume, le dos, les doigts, dessus, dessous, les bouts, les ongles… Et quand il avait fini, il se rinçait bien les mains et recommençait. C’est seulement après le second lavage qu’il se les séchait avec des mouchoirs en papier avant de les frotter au gel hydroalcoolique.
Il utilisait des masques papiers qu’il changeait chaque fois qu’il les frôlait de ses doigts et ne gardait jamais plus d’une heure. Il refusait les invitations de ses amis, ne mettait plus les pieds dans les cafés, pas même en terrasse, ni dans son club de gym ou au cinéma. Plus de spectacle, d’expo… L’idée d’approcher des gens lui paraissait tenir de l’absurdité. Il n’allait plus dans les magasins, et quand il se faisait livrer quelque chose, il le gardait deux jours en quarantaine avant de le déballer. Pas évident, pour les produits frais.
Comment partager un appartement de 50 m2 quand on a des points de vue aussi radicalement antinomiques ? C’est difficile. Pour voir le coté positif, avec un appart de 30, ça aurait été impossible.
Il a séparé le salon en deux zones avec une bande jaune agrafée sur la moquette pour matérialiser la frontière. Il a annexé la cuisine. Du coup, elle ne touchait plus à la préparation des repas et au linge. Elle s’est bien gardée de souligner qu’elle s’était battue pendant des années pour qu’ils partagent ces tâches ménagères. Ce que des années de combat féministe n’avait pu réaliser, la Covid avait réussi en quelques semaines. Mais toute chose à un prix : les sous-vêtements de madame n’ont pas apprécié les lavages à 60 degrés.
Il a aussi annexé la chambre mettant en avant son mal de dos. Quand elle a râlé, il a fait remarquer que la télé et la cave à vin se trouvaient dans sa partie du salon à elle tout comme le divan. De quoi se plaignait-elle ? Elle a accepté. La salle de bain posait problème. Il s’est également attribué la cuvette de WC et le lavabo, ne lui concédant que l’usage partagé de la douche qu’elle était censée laver à la javel après chaque usage. Comme lui-même la nettoyait avant et après chaque usage, la douche n’a jamais été aussi propre. On notera qu’elle n’avait accès à aucun évier, qu’elle devait se laver les dents dans la douche, et que cela ne l’encourageait pas à se laver les mains plus souvent. Il lui a laissé royalement la jouissance du WC séparé et du tout petit bureau où il ne mettait de toute façon jamais les pieds avant la Covid.
Pour ce qui est de la petite moitié féminine de l’appartement, un demi-salon, le bureau et le WC, la propreté a vite laissé à désirer. Quand il râlait, elle répondait : « Tu n’y vas pas, alors camembert ».
Sa crainte obsessionnelle du virus le conduisait à se scruter le nombril en permanence en quête du moindre soupçon de symptôme. Il s’est mis complètement en télétravail, prétextant être personne à risque pour ne plus mettre les pieds dans l’entreprise qui l’employait. Quel risque ? L’hypocondrie est-elle facteur de risque pour la Covid ?
Elle s’est réveillée un matin avec un mal de crane. Il a exigé qu’elle se fasse tester. Elle a trouvé cela idiot, mais il y semblait vraiment y tenir. Elle a jugé que l’invasion d’un écouvillon dans ses cavités nasales était un prix raisonnable pour maintenir la paix du ménage. Par une vengeance des plus mesquines, elle a cependant demandé qu’il se fasse aussi tester. Elle n’a pas eu à insister.
Elle a reçu les résultats par courriel. Elle était négative et lui… positif.
Elle a été prise d’un fou rire énorme. Le virus était imprévisible, injuste, sans pitié – on le savait – mais elle le découvrait facétieux, immensément drôle. Elle a essayé de retrouver un semblant de sérieux mais elle ne pouvait s’empêcher de pouffer à s’étrangler. Sa crise de rire qui semblait ne pas vouloir cesser l’a conduite aux larmes. A son époux qui lui demandait pourquoi elle riait comme une folle, elle n’a su quoi répondre.
dimanche 15 novembre 2020
9. Un virus facétieux
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