En s’appuyant sur la riche tradition scientifique locale, malgré des distances qui ne favorisent pas les échanges, le campus du plateau de Saclay s’est mis en place depuis des années avec ses réseaux thématiques Digiteo ou Triangle de physique, le PRES Universud Paris, des structures comme Soleil, Neurospin ou le pôle de compétitivité System@Tic. Un plan Campus a été lancé par le gouvernement en 2008 pour faire émerger des pôles universitaires d’excellence capables de rivaliser avec le reste du monde. On voyait bien que les mêmes millions étaient affichés plusieurs fois mais on voyait aussi à peu près où on allait. Et puis le projet a dérapé. Il est devenu d’intérêt national. Il s’est s’installé dans la démesure sans vraie discussion, sans débat démocratique. On s’est retrouvé dans le Grand Paris de Christian Blanc. Les décideurs ont décidé. Vous avez intérêt à être pour si vous voulez des crédits.
Je ne sais pas quand tout s’est emballé mais j’ai vu des Powerpoint qui font peur. Je vous passe « le futur plus grand campus pluridisciplinaire d’Europe » avec ses je-ne-sais-pas-combien de dizaines de milliers d’étudiants « plus que dans les plus grands campus américains ». On est passé dans l’irrationnel, dans une mégalomanie franchouillarde. Est-ce qu’on réfléchit encore à ce qu’on fait ? Est-ce que quelqu’un pilote le projet ?
Résumons la vision, le grand dessein du campus du plateau de Saclay : mettre dans une casserole des régionaux de l’étape, l’Université Paris-Sud 11, l’Ecole Polytechnique soi-même, Supélec, et des transmigrants, l’ENS de Cachan, les Mines de Paris, Télécom Paris et Sud-Paris, Centrale, l’ENSTA, Agro, l’ENSAE, HEC, assaisonnés de CNRS, d’INRIA, d’INRA, de CEA, d’ONERA, et j’en oublie pour sûr. Et vous obtenez le fin du fin de la cuisine française, le cassoulet sauce Shanghai.
Autour de moi, j’entends des copains qui sont contre. Des télécoms Paris qui veulent rester Parisiens. Des Cachanais qui ne veulent pas changer de département. Et bien d’autres. On sait que l’universitaire de base n’aime pas le changement. Ca râle dans les labos mais on a l’habitude. Et finalement, on trouve assez peu de critiques sur le fond. Ou alors c’est que je ne sors pas assez. Une exception quand même, j’ai entendu Marc Lipinski, vice-président de la région Île-de-France, un camarade Verts, questionner le projet.
Ca sert à quoi un immense campus ? On ne vante en général pas un campus pour sa taille mais pour la qualité de sa recherche et de son enseignement. C’est une bonne idée le mégalo campus ?
Des arguments pour : la taille critique et Shanghai.Même si on vous jure que ce n’est pas pour ça, on voit bien l’avant Shanghai, décentralisation et saupoudrage partout, et l’après, concentration et taille critique. Il est vrai que certains labos (en informatique au moins) sont petits et gagneraient à des regroupements. Ca permettrait de mieux bosser, de partager des ressources. Ca permettrait aussi d’offrir aux étudiants de meilleurs cours en partageant les filières. Mais on pouvait sûrement rester à taille humaine en se basant sur moins de doctrine et plus de pragmatisme. Peut être même en demandant leur avis aux chercheurs. (My God ! Un révolutionnaire qui veut demander l’avis des chercheurs.) On pouvait aussi améliorer les scores à moindre frais en signant nos articles de façon moins baroque, en rattachant les écoles d’ingénieurs à des facs, etc.
Des raisons d’être dubitatif On nous dit qu’on fait ça pour l’ « effet cafétéria ». On pourrait croire qu’à l’heure d’Internet, on bossait sur Skype et SVN. Pas du tout ma bonne dame, tout se passe devant un caoua comme au bon vieux temps. Mais elle est où la cafétéria du campus ? A Orsay ? A Saclay ? A Palaiseau ? Ailleurs ? Ils ont dû la voir sur un Powerpoint ? Regardez les distances entre la zone du Moulon, la zone Polytechnique, le CEA ? Vous faites ça à pied ? J’ai essayé un séminaire en commun (entre Paris XI et Polytechnique). Les chercheurs ne se sont pas déplacés. Pas de transports en commun.
On nous dit qu’on va nous construire un campus de rêve. A Orsay, même si les bâtiments sont vétustes, on est près de la ville, on a le RER, des résidences pour les étudiants. On va recréer tout ça en mieux sur le plateau ? Baladez vous au Parc Club d’Orsay qui existe depuis des années ! Cherchez les cafés, les commerces, les services ! Pas un flipper ! La zone ! Juste une gendarmerie. Avec ses bâtiments perdus au milieu de nulle part, dans l’absence de lieu de vie, dans l’absence de logement, dans l’absence de transports en commun, qui prendra plaisir à vivre sur un plateau balayé par les vents ?
Des raisons contre : les coûtsTout ça va dévorer des crédits de la recherche et de l’enseignement supérieur déjà bien maigres si on compare aux autres pays développés. Est-ce que cela a un sens quand les dettes du pays explosent, de dépenser une fortune pour déplacer des écoles et des universités pour une opération à l’intérêt pour le moins discutable ? Est-ce que cela a un sens de focaliser toutes les énergies sur un projet douteux quand il y a tant à faire pour améliorer la recherche, et répondre aux grands défis comme le réchauffement climatique ?
Des raisons contre : L’écologie. Le Plateau de Saclay accueille les terres agricoles les plus riches de la région. Des projets locaux existent pour aider à la transformation d’une agriculture céréalière en agriculture nourricière, respectueuse de l’environnement, créatrice d’emplois non délocalisables, utile socialement. Quand il faudrait les encourager, quand il faudrait arrêter la progression de la ville et soutenir l’agriculture de proximité, on bousille des centaines d’hectares de terres cultivées et on force à fermer des exploitations du plateau. Des constructions massives vont imperméabiliser encore plus les sols à proximité des vallées de la Bièvre et de l’Yvette, déjà bien stressées. En concentrant des milliers de chercheurs et d’étudiants sur un territoire vide de tout transports en commun (mais Monsieur Blanc a promis une station de son super métro dans…20 ans… peut être), c’est la bagnole que l’on va encore encourager.
PS : Pour Paris où ça a l'air bien compliqué, ils ont Bernard Larrouturou qui essaie de donner du sens. Et nous ?
PPS: Pourquoi avoir choisi le cassoulet ? A cause d’une blague pourrie trouvée sur le Web et un peu aménagée : La droite Cassoulet c’est une petite saucisse avec des fayots autour et le résultat du vent, du vent ! Le vent qui souffle sur le plateau de Saclay bien sûr.