jeudi 15 août 2019

Charlotte et le pot de griottes

[Tous les vendredis de juillet et août, une nouvelle sur ce blog.]
Hubert P. menait une vie paisible, jouissant des revenus de la startup qu’il avait créée et bien vendue. Il a été retrouvé mort dans son salon un matin de canicule, assommé avec un pot de griottes Montmorency, puis achevé avec un couteau de cuisine mal aiguisé. Une vraie boucherie et du gaspillage des griottes dont il raffolait. La PJ avait été prévenue du meurtre par un courriel avec une photo du cadavre en attachement et n’avait pas pu tracer l’auteur du message.

La caméra de surveillance des voisins a montré qu’Hubert était retourné à la villa dans l’après-midi et que seules trois personnes y étaient passées ensuite et avaient donc pu commettre le crime : Charlotte R., l’épouse du mort, Ben I., son meilleur ami, et Maxime P., son frère. Personne d’autre n’avait approché la villa.

Charlotte est partie vers 19:00. Elle se rendait dans le Périgord pour quelques jours. Le meurtre a été découvert avant son retour. Elle se disputait souvent violemment avec le mort, et la police était intervenue plusieurs fois pour les séparer.

Ben est arrivé peu après son départ. C’était le meilleur ami de Hubert et l’amant de Charlotte. Il voulait racheter la Ducati de collection d’Hubert mais ils n’avaient pas pu se mettre d’accord sur un prix.

Maxime, sur les lieux peu de temps après le départ de Ben, devait 3 000 euros à son frère qu’il ne pouvait rembourser. On n’imagine pas qu’on puisse tuer un frère pour si peu, mais Maxime avait de gros problèmes d’argent. Et pour situer la fratrie, les deux frères avaient fini deux fois à l’hôpital après s’être frottés un peu trop virilement.

Charlotte a affirmé qu’Hubert était parfaitement vivant quand elle l’a quitté. Ben a reconnu s’être disputé avec son ami encore une fois sur le prix de la Ducati, mais il a affirmé l’avoir laissé bien vivant. Maxime a lui assuré avoir trouvé son frère déjà mort. Il n’aurait pas appelé la police par peur d’être soupçonné. Il a fini par avouer être l’auteur du courriel.

Lequel du frère et du meilleur ami est-il l’assassin ? Ou est-ce l’épouse ? L’estimation de l’heure du crime par le médecin légiste n’a pas permis de trancher.

Hubert refusait d’avoir un robot personnel. Charlotte en avait un, basé dans le salon. Elle a spontanément proposé à la Commissaire Conchita Doyle l’enregistrement de la dernière journée d’Hubert par la caméra de son robot. On y voit Maxime s’engueuler avec son frère, l’assommer avec le pot de griottes, puis l’achever. Gore !

Pour Conchita, le cas est loin d’être résolu. Qui peut avoir confiance dans une pièce à conviction fournie par le robot personnel de Charlotte, par contrat son esclave lui obéissant en tout ?  En cette fin du 21e siècle, avec la sophistication des falsifications en tout genre, les vidéos sont de toute façon des preuves de plus en plus questionnées par les tribunaux. Et puis, un truc la turlupine : Maxime n’a pas pensé à la caméra du robot alors qu’il est loin d’être stupide.
Conchita envoie la vidéo à la police scientifique.

Les experts vérifient les battements de paupières, la microcirculation du sang sous la peau, et mille autres petits détails qui peuvent trahir le fakenews mais dont les contournements logiciels sont malheureusement disponibles en logiciel libre sur le web. La techno est devenue à portée du moindre péquin pas trop encombré du mulot. La vidéo a l’air tout ce qui a de plus vraie et la police scientifique s’avoue vaincue.

Charlotte n’attend pas pour gaspiller le prix de, ce que Conchita est convaincue, être sa participation au meurtre. Une razzia d’achats internet : grand écran, chaussures Louboutin croisière…

Pendant ce temps, Conchita passe des heures dans le salon du mort à s’imprégner du lieu du crime. Elle visionne des dizaines de fois la vidéo, faisant quasiment de l’image par image le temps du meurtre. Tout a l’air d’être bien en place. L’IA de la police scientifique n’a rien trouvé. Qu’espère-t-elle ?  À bout d’idée, elle se met à compter les griottes. D’autres comptent bien les moutons.

Les griottes sont fort avantageusement toutes tombées dans l’angle de la caméra. Elle en compte 89. Elle recompte, 89. Un nombre premier ! Elle va dans la cuisine où sont rangés d’autres pots de griottes identiques, en ouvre un : 100 griottes. Un autre : 100 !

Elle n’a plus que quelques vérifications à faire : le fabricant confirme que les boites contiennent 100 griottes, parfois 101 ou 102, jamais moins et  le labo de la PJ assure que, sur la vidéo, le pot était scellé quand il a explosé sur la tête d’Hubert ? Le pot contenait au moins 100 griottes quand il a explosé sur la tête d’Hubert et seulement 89 se sont retrouvées sur le parquet de bois clair. La vidéo a été trafiquée et cela démontre la culpabilité de Charlotte et Ben. La vraie vidéo aurait montré que l’un des deux, après le meurtre, chipotant quelques griottes. Ils leur avait fallu ensuite faire coller la vidéo avec la scène de crime.

Devant cette preuve pourtant légère, Charlotte et Ben finissent par reconnaître que l’idée du meurtre était de Charlotte et que c’était Ben qui avait tenu le pot de griottes et le couteau.

Affaire classée !

Déclaration de la commissaire : « un, la gourmandise est un vilain défaut, et deux, on aura toujours besoin de fliquettes dans la maison poulaga. L’IA n’a pas pensé à compter les griottes. Meskine !  »

Postscriptum : l’excellent podcast « faut-il le voir pour le croire ?  » (La méthode scientifique, France Culture) m’a donné l’idée de cette nouvelle. Merci donc à Ewa Kijak, Vincent Nozick,Tina Nikoukha et Nicolas Martin pour leur aide involontaire.

[ Bêtises à Bloguer - Saison 2 ]


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