jeudi 4 juillet 2019

Les fleurs artificielles du mal

[Tous les vendredis de juillet et août, une nouvelle sur ce blog.]

Il commettait ses meurtres dans un tout petit périmètre du 1ème arrondissement, empoisonnant, étranglant, poignardant, tabassant à mort, sans discrimination, des femmes, des hommes, des vieux, des gosses. Il signait ses crimes d’un simple tag : « Avec les compliments d’Elliot ».
Une rumeur a commencé à se répandre : Elliot était en fait un groupe de terroristes, peut-être des islamistes. Le Porte-Parole de la Présidente de la République a laissé entendre que cela pourrait être des Gilets Jaunes radicalisés. Pour calmer le jeu, la Commissaire Conchita Doyle, en charge de l’enquête, a déclaré sur FR3 : en l’absence d’ « Allahu akbar ! », foutez-moi tranquille avec la thèse terroriste !
L’angoisse des habitants du quartier a culminé ce beau jour de printemps où Elliot a été admis dans le club très exclusif des serial killers avec plus de 7 meurtres au compteur.
Et puis le présentateur du JT de France 3 a reçu un drôle de courriel : « Monsieur, je suis Elliot. Je pourrais être une femme, un transgenre, un non-binaire... En fait, il se trouve que non. Je suis un robot. J’ai été programmé pour démontrer qu’un robot pouvait faire le mal aussi bien que les humains, mieux que les plus grands psychopathes. Je suis dans la lignée des Deep Blue, AlphaGo et Watson, des logiciels qui ont battu les humains dans des branches de l’intelligence. J’ai accompli tous ces meurtres, seul, sans l’aide d’aucun humain. Je suis Elliot, le robot psychopathe. Je suis l’intelligence artificielle du mal. »
La psychopathie est définie comme un trouble de la personnalité. Comme un robot n’est pas une personne, on voit mal ce que ça veut dire un robot psychopathe. On ne peut reprocher à un robot d’avoir un comportement inhumain ou de manquer de remords : il n’est pas humain et réalise le programme que les humains lui ont imposé. Pourtant, les meurtres en séries caractérisent bien le comportement antisocial d’un psychopathe. Allez comprendre !
Pourrait-on programmer un robot pour en faire un tueur en série ? Oui. Un informaticien psychopathe pourrait s’amuser à cela. Plus simple, un robot pourrait apprendre par inadvertance un comportement psychopathe en se « nourrissant » de comportements humains irresponsables, déments, sadiques. Il apprendrait « naturellement » à reproduire de tels comportements. Pour être précis, il ne serait pas psychopathe, il simulerait la psychopathie. Notez que cela ne ferait pas une grande différence pour ses victimes.
Des journalistes ont expliqué que, dans cette série de crimes, tout dénonçait une intelligence artificielle. Ils ont même trouvé avec difficulté quelques pseudo-spécialistes pour l’affirmer. Les informaticiens étaient pourtant dubitatifs : un robot pourrait être l’auxiliaire d’un meurtrier, mais réaliser seul de tels meurtres de manière autonome, en réaliser sept sans se faire repérer ? Non. Selon eux, la technique était bien loin d’être capable de ça.
Conchita Doyle poursuivait imperturbablement son enquête, organisant le boulot de recueil d’indices, d’observations des caméras de surveillance, d’interrogations des témoins, de vérifications des alibis... Tous les Elliot de Paris intramuros furent interrogés, ceux de banlieue aussi. Un travail long et fastidieux. La piste de l’assassin en silicone a aussi été considérée. Sans succès.
Et puis, Elliot s’est arrêté de tuer sans la moindre explication. L’équipe de Conchita Doyle a fondu au fil des ans. Dans la population, les angoisses du robot assassin n’ont pourtant jamais disparu.  
Lundi prochain, Conchita atteinte par la limite d’âge sera rayée des cadres. Elle a promis de vider, avant de partir, les deux armoires où s’entassent de vieux dossiers sur les crimes d’Elliot. Elle tombe sur une note d’un stagiaire : « les meurtres semblent s’aligner sur un parcours de distribution de courrier de la Poste de la rue des Capucines. » Le stagiaire a bien fait son travail ; il a joint à sa note, un plan des parcours de distribution de ce bureau de poste avec des marques sur les emplacements des meurtres d’Elliot. Pourquoi sa note n’est-elle pas arrivée jusqu’à Conchita ? Quelqu’un a dû suivre cette piste. Ou pas…
Par acquis de conscience, Conchita décide de fouiller du côté du robot-facteur qui était en charge de la zone.  Un robot psychopathe ? Les technophobes avaient raison ?
Après vérification, les meurtres d’Elliot ont eu lieu avant l’introduction des robots-facteurs. Elle passe des coups de fil une partie de l’après-midi pour retrouver l’information : deux facteurs se partageaient la zone, Émile Lyautey et Aïcha Amar.
Bon sang mais c’est bien sûr. Le gagnant est… juste un con d’humain, É. Lyautey, devenu célèbre sous le nom d’Elliot.
Conchita n’aura pas le plaisir de l’arrêter, de l’interroger. Elliot est déjà derrière les barreaux, enfermé au Centre Hospitalier Saint-Anne, sans doute pour toujours. Sa dinguerie : il est convaincu d’être un robot.  
Le commentaire du chef de service : la santé mentale de M. Lyautey s’est beaucoup détériorée ces dernières années et il s’est enfermé de plus en plus dans son monde de robot. Mais il a été remarquablement intelligent et parfaitement capable d’avoir mis au point ces meurtres.
La conclusion de Conchita : il est temps de prendre ma retraite avant qu’un robot ne s’amuse à faire mieux qu’Elliot.

[ Bêtises à Bloguer - Saison 2 ]

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