jeudi 18 juillet 2019

Le jeune homme à la fleur de lotus

[Tous les vendredis de juillet et août, une nouvelle sur ce blog.]
L’inspectrice Myriam Benhamou, une analyste de la scientifique, a découvert des bots malicieux datant du 21e siècle, de vrais dinosaures. Qu’ils aient pu ne pas être détectés par les hackers de la police pendant plus de quatre siècles défiait toute logique. Cela voulait aussi dire qu’ils avaient su se transformer pour traverser plusieurs générations de logiciels, de systèmes d’exploitation, de langages de programmation, de librairies de codes, un exploit pour des bots aussi anciens, du jamais vu selon les historiens des techniques.
Myriam a pu expliquer comment ils sont passés entre les mailles des cyberflics :
·      Les effets de chacune de leurs interventions sont calculés pour être faibles, en dessous du seuil détectable ; ils évitent ainsi l’effet aile de papillon. Ils travaillent par toutes petites touches, comme dans un tableau impressionniste. Du coup, ils restent sous les radars.
Ces bots arrivent pourtant à avoir des effets à long terme. C’est en tombant par hasard sur l’un de ces effets que Myriam les a découverts. Une céramiste du 21e siècle, Ankhti, est restée marginalement connue de manière continue pendant plus de quatre cents ans. Statistiquement, elle était quasi certaine de plonger dans l’oubli. C’est le destin de presque tous les artistes. La probabilité de devenir une valeur indétrônable comme Picasso ou Richter est extrêmement faible. Mais se maintenir pendant aussi longtemps, juste à la marge, seulement connue d’un petit nombre quasi constant d’internautes, ni star, ni oubliée, c’était juste improbable, impossible.
·      Improbable ou impossible ? interroge Amram, le fils de Myriam, féru de précision.
·      Hyper improbable, précise Myriam. Tu fermes les yeux et tu bouges au hasard ton Rubics Cube pendant dix minutes. Quand tu t’arrêtes, a-t-il une chance d’être bien rangé ?
·      Non c’est impossible.
·      Ce n’est pas impossible, mais hyper improbable !
Seul un code génial manipulant au cordeau les systèmes de recommandation des moteurs de recherche et des réseaux sociaux pouvait réaliser un pareil exploit.
Myriam a trouvé une dizaine de clones d’un même bot qui participaient discrètement à faire qu’Ankhti reste connue d’une poignée d’internautes. Le code de ces bots savait se transformer en passant d’un système informatique à un autre. Il restait reconnaissable par l’identifiant bizarre qu’il utilisait pour parler de lui-même : 7Ame.
Myriam a tout bêtement baptisé ce bot 7Ame.
Encouragée par sa découverte, elle a cherché d’autres bots. Après des jours de calculs sur des milliers d’ordinateurs d’Interpol, elle en a trouvé deux : Xìngfú et Cabeza de Halcón qui, avec des algorithmes sensiblement différents, faisaient eux aussi la promotion bridée d’Ankhti. Y-en-avait-il d’autres ? Comment savoir ?
Son fils Amram a répondu à ces deux questions :
·      Il t’en manque un seul et je l’appellerais « Tête de Chacal ».
·      Déballe ta blague !
·      Cabeza de Halcón, Tête de Faucon en français. Ça fait Egypte antique. J’ai regardé. C’est un des fils d’Horus, Kébehsénouf, représenté par un homme à tête de faucon. Un autre s’appelle Amset, 7Ame en verlan. Un troisième fils, Hâpi, m’a donné du mal. Xìngfú, c’est du chinois, ça veut dire Joyeux en français, Happy en anglais. Ils sont internationaux tes hackers…
·      Et tu étais sérieux avec Tête de Chacal ?
·      Farpaitement. Le quatrième et dernier fils d’Horus, Douamoutef, est représenté par un homme à tête de chacal.
·      Ce gosse m’épuise ! Comment t’as eu l’idée de tout ça ?
·      C’est la semaine de l’Égypte Antique à l’école.
Myriam n’a pas trouvé de bot « Tête de Chacal », mais un Jackal’s Head, « Tête de Chacal » en anglais. S’ils avaient utilisé du turc ou du serbe, ça aurait été plus difficile.  
L’histoire qu’elle raconte dans la classe d’Amram, pour une séance de Show and Tell :
·      Voici un hologramme d’une céramique du 21e siècle conservée au Musée de la Céramique de Sèvres. L’artiste s’appelait Ankhti et sa biographie explique qu’elle était la Grande Prêtresse d’un culte secret à Isis et Osiris, des Dieux de l’Égypte Antique. Elle affirmait être l’incarnation de Shou, le souffle de vie.
·      Mais le 21e siècle c’était bien après l’Égypte Antique ? interroge Lila, une jolie gamine, qui se trouve être la petite amie d’Amram. Plus personne n’adorait Isis ou Osiris au 21e siècle.
·      Tu as raison, répond Myriam. L’Égypte Antique s’achève avant l’an zéro.
·      Ces religions se sont vraiment arrêtées au IVe siècle quand elles ont été interdites par les empereurs romains chrétiens, précise Madame Li, la maitresse. Ankhti devait être une personne très particulière.
·      Regardez bien, sur le vase, reprend Myriam, ce jeune homme avec une fleur de lotus dans les cheveux derrière la vieille dame penchée sur son tour de potier. Il est là pour la protéger. La vieille dame c’est sans doute Ankhti, la céramiste elle-même. Le jeune homme, c’est Néfertoum, le fils de Ptah et de Sekhmet, le dieu de la résurrection et de l'immortalité. On le retrouve d’ailleurs dans la feuille de lotus, qu’Ankhti appose à côté de sa signature. Elle se place sous la protection du Dieu Néfertoum. Ankhti a dû aller au Musée du Caire voir le Trésor de Toutankhamon dont la maitresse vous a parlé. Elle a peut-être eu une révélation devant la momie de Toutankhamon.
·      Ou plus simplement en regardant une vidéo de la BBC, interrompt Amram. Ou peut-être qu’elle était juste frappadingue.
Myriam ignore le commentaire de son fils et poursuit :
·      Madame Li vous a parlé du rituel des morts. Ankhti aurait été embaumée suivant les rites égyptiens dans son appartement de la rue Montmartre. 
·      La Vache ! Elle habitait Cœur de Paris, commente Lila.
·      Ankhti a pu ainsi renaître et voyager jusqu’au royaume des morts. Elle a  voyagé dans la barque du dieu soleil Rê et traversé le royaume d'Osiris. Pour ne pas plonger dans les ténèbres, l'oubli, la mort, le néant, elle a demandé la protection des quatre fils d’Horus.
·      Amset, qui protège le foie, Hâpi, les poumons, Douamoutef, l'estomac, et     Kébehsénouf, l'intestin, précise Amram.
·      Mais on sort carrément de l’égyptologie classique, explique Myriam. Les 4 fils d’Horus se sont incarnés en avatars sur Internet. Ils ont empêché le nom d’Ankhti de sombrer dans l’oubli. Ils s’arrangeaient pour garantir qu’Ankhti reste connue d’une poignée d’internautes. Tant qu’on parlait d’elle, elle continuait d’exister. Grâce à eux, elle vivait toujours dans le royaume des ténèbres. C’est aussi grâce à eux que nous parlons d’elle dans cette classe.
·      Et elle vivra pour toujours ? interroge Lila.
·      Si c’est la volonté de Néfertoum, répond Amram.
La volonté des Dieux n’est pas toujours celle de la loi. Les fils d’Horus ne faisaient rien de mal. Pourtant, un juge a décidé de faire désactiver Amset, Hâpi, Douamoutef, et Kébehsénouf. Il a jugé que la consécration d’Ankhti par des bots violait la loi sur la manipulation algorithmique de foule. Quelle foule ? Les fils d’Horus ne touchaient qu’un tout petit nombre d’internautes.
Les avatars des fils d’Horus ont été traqués sur tout le réseau et terminés. Le juge condamnait Ankhti à l’oubli, à la damnatio memoriae, ce qu’Amram a trouvé dégueulasse. Myriam ne pouvait pas pu lui donner tort.
Quelques jours plus tard, Amram reçoit un courriel énigmatique de nefertoum@memphis : « Il fit naître ses dieux parèdres en émettant des sons de sa bouche et Néfertoum fera vivre Ankhti pour toujours. ». Amran court le montrer à Myriam :
·      Maman ! Néfertoum protège toujours Ankhti.
·      Tu vois, conclut Myriam, il ne fallait pas t’inquiéter pour elle. Le Dieu à la fleur de lotus ne l’abandonnera pas.
·      Trop cool !
Myriam est une bonne fliquette, mais elle est mère et hackeuse avant d’être flic.
[ Bêtises à Bloguer - Saison 2 ] 
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