vendredi 25 juillet 2014

L'informatique à l'école : un pas bien timide, mais un pas quand même

Depuis quelques mois les appels à un enseignement de l’informatique dans les écoles et lycées se multipliaient, traduisant l’impatience tant de parents que de personnalités politiques, de scientifiques et de représentants du monde numérique. En annonçant dans le Journal du dimanche du 13 juillet 2014 qu’il favoriserait « en primaire une initiation au code informatique, de manière facultative et sur le temps périscolaire », Benoît Hamon a fait un pas – certes timide mais difficile car le sujet n’est toujours pas consensuel.

A défaut d’être la réponse attendue, c’est un signal d’encouragement aux très nombreux enseignants qui innovent jour après jour, luttent contre le décrochage scolaire, en s’appuyant sur les pratiques numériques de leurs élèves pour motiver et former aux approches critiques, mais butent vite sur le manque de compétences informatiques, le leur et celui de leurs élèves. C’est aussi un signal d’encouragement aux très nombreuses associations et aux rares collectivités territoriales qui ont pris à leur charge la formation à l’informatique que l’école différait. Les uns et les autres ont compris que la culture numérique implique une initiation précoce à l’informatique et ne saurait se suffire des « usages ». Les uns et les autres savent que la transition numérique de notre société appelle ces savoirs et savoir-faire, pour de futurs citoyens créatifs, solidaires et lucides.

La programmation encourage naturellement l’apprentissage par l’essai-erreur, le travail collaboratif. Elle place les élèves dans des attitudes actives, créatives, de partage et de contribution. Un projet mené à bien est un plaisir, une fierté. Cela explique ses succès auprès d’élèves décrocheurs. L’entrée du « code » à l’école doit être l’occasion de participer à la transformation de l’enseignement. Si la volonté d’opérer en douceur semble être de mise avec une amorce par le périscolaire, le choix du primaire comme point de départ peut aussi s’envisager comme l’opportunité d’un changement de fond, une occasion de convergence entre les professeurs des écoles et les acteurs de l’éducation populaire, de la médiation scientifique et numérique, de l’entrepreneuriat social, pour une école ouverte, reliée aux territoires. Reste à savoir l’exploiter. Cet appel au riche tissu de ressources territoriales implique une gestion de projet, qui va mobiliser les directeurs d’école. Il faudra travailler en réseau entre écoles et associations, proposer aux animateurs et éducateurs qui le souhaitent une certification ou une validation d’acquis, l’enjeu pour les élèves étant la base d’une véritable littératie numérique qui aidera les autres savoirs fondamentaux à se révéler.

Le recours au périscolaire ne pourrait évidemment seul suffire. Un enseignement périscolaire se doit d’être créatif, expérimental, ludique, émancipateur, non-institutionnel. Il peut enrichir l’enseignement scolaire, participer à faire évoluer contenus et méthodes, à cultiver des compétences transversales. Il ne peut se substituer à l’école. Une approche basée purement sur le périscolaire ne touchera pas tous les enfants, engendrera des inégalités entre territoires ruraux et agglomérations, entre écoles « branchées » et les autres (même si de telles inégalités pourraient être atténuées par des politiques volontaristes couteuses). Enfin et surtout sans une l’implication active des professeurs des écoles eux-mêmes, l’apprentissage de l’informatique par les enfants restera isolé des autres enseignements et ne pourra pleinement réussir.

C’est là qu’une autre mesure annoncée par Benoît Hamon prend toute son importance, et traduit une vision qui dépasse heureusement la délégation aux associations : l’entrée de son enseignement dans les ESPE (les Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education), dont la loi de refondation de l’école a fait le cœur de la transformation numérique de l’enseignement. Il faut avancer rapidement et résolument dans ce sens et accompagner cette mesure par un développement de la formation continue dans ce domaine pour toucher la plus grande partie des professeurs des écoles. La formation de l’ordre de 350 000 professeurs des écoles est un défi considérable, que la profession va devoir organiser. On voit bien qu’il ne s’agit pas seulement de former tous les professeurs « au code », mais de les engager dans la transformation de leurs disciplines et de leur pédagogie, reconfigurées par la « société numérique » et désormais imprégnées par les sciences et techniques informatiques.

Il faut aussi répondre aux inquiétudes légitimes : il ne s’agit pas de former de la main-d’œuvre pour l’industrie du logiciel ; il ne s’agit pas d’appendre à coder pour coder ; il ne s’agit pas d’apprendre une nouvelle discipline abstraite ; il ne s’agit pas non plus d’une démission de l'école, d’une brèche dans laquelle s’engouffreraient les nouveaux acteurs industriels de l’éducation numérique pour se substituer à l’école.

Il reste que la tâche est complexe. Il faudra les efforts de tous et une mobilisation très large pour que ce projet réussisse.

Au-delà de l’école primaire, la déclaration de Benoît Hamon touche le collège et le lycée. Il choisit de s’appuyer d’abord sur les professeurs de mathématiques et de technologie. C’est à court terme une solution. Le vivier de tels professeurs volontaires pour enseigner l’informatique existe mais on atteint vite ses limites, quand cela ne participe pas à accentuer comme en mathématiques une pénurie endémique de tels enseignants. Il est urgent d’ouvrir les portes de l’éducation nationale à des enseignants dont l’informatique est la compétence principale. Le vivier naturel se trouve dans les licences et master d’informatique, et aussi dans les entreprises pour des ingénieurs qui souhaiteraient une reconversion. Sur ce sujet, nous attendons une véritable vision qui fasse bouger les lignes.

Benoît Hamon présente un projet qu’il faut concrétiser et enrichir. Tout ne peut se résumer à une brève initiation au « code informatique ». Il ne suffit pas de savoir écrire des programmes dans un langage informatique quelconque pour, par exemple, comprendre comment fonctionne le moteur de recherche de Google, l’encryption dans un système de vote électronique, ou une base de données « dans les nuages ». Au-delà des seuls aspects scientifiques et techniques, l’enseignement de l’informatique représente le chemin de l’acquisition d’une véritable culture numérique par tous. La formation de ses enseignants en informatique et en culture numérique est la clé de la réussite. C’est bien là une des ambitions que l’éducation nationale doit porter dans les années à venir.

Serge Abiteboul et Sophie Pène, membres du Conseil national du numérique

Sur le site du CNNum


2 commentaires:

  1. 1/4

    Bonjour,

    Je viens de lire, puis de relire, effaré, votre texte.

    Cette idée d'enseigner l'informatique à l'école, dès le primaire, me paraît être encore la manifestation de l'"esprit" français actuel : des idées, mais sans aucune preuve de l'utilité, de l'efficacité, de la validité de l'idée.

    Je suis donc farouchement opposé à cette idée d'enseigner l'informatique dès le primaire.

    Pourtant, moi-même, j'ai écrit mon premier programme à 16/17 ans, en 1975 ou 1976, sur un "ordinateur" Hewlett-Packard" permettant, au moyen de "programmes" écrits au crayon sur des cartes graphitées de dessiner des courbes mathématiques sur une feuille de papier.
    Orphelin, mère secrétaire dans l'administration, j'ai passé mon BAC C et je suis entré dans une école des Mines, où j'ai choisi l'option Informatique, toute fraîche, dont je suis sorti major. Depuis, après avoir donné des cours de Mathématique à des collégiens pendant mes études, puis avoir été enseignant en informatique et analyse numérique à des élèves ingénieurs en Tunisie, je travaille dans le domaine de l'informatique. J'ai donc découvert, et souvent maîtrisé, les langages suivants : Basic, Fortran, Cobol, C, Prolog, Lisp, Smalltalk, Java, C++, CAML, Perl, Python, Awk, Shell. Dans des environnements complexes : AIX, Linux. Et, sous la direction de Philippe Roussel, créateur du langage Prolog, puis sous la direction de l'un de ses thésard, j'ai même conçu et construit une extension objet (à la Smalltalk) à notre compilateur Prolog. Depuis, architecte logiciel, je me suis investi dans nombre de projets, souvent complexes, comme l'implémentation de la norme d'administration CMIS/CMIP par la compilation de la norme en objets Prolog et code ASN.1/BER, et bien d'autres projets dont beaucoup pour IBM/AIX.
    Donc, l'informatique, je connais.
    Mais je connais aussi l'école d'aujourd'hui. Mes enfants ont passé leurs 4 années de collège dans une ZEP (Zone d'Éducation Prioritaire), et eux et moi avons pu découvrir la déchéance du collège français, devenu unique, c'est-à-dire privilégiant le nivellement par le bas.
    Aux temps passés où l'École française était construite pour fabriquer une "élite" et où ceux qui ne pouvaient pas atteindre les sommets étaient rabaissés, a succédé le temps présent où tous les élèves sont contraints de se mettre au rythme des plus lents, générant ennui, paresse, et découragement pour ceux qui comprennent facilement. Alors que le but essentiel d'un système éducatif devrait être de permettre à chaque enfant/personne d'atteindre les limites de ce que ses possibilités intellectuelles lui permettent de faire, à son rythme, sans se soucier de l'origine ethnique ou sociale des parents. On en est loin.
    De mes études au collège, je me souviens du choc de la théorie des ensemble. Choc pour le professeur de mathématiques, au point qu'il nous fallait l'aider. Je me souviens aussi, en 3ème, d'avoir appris à calculer la racine d'un nombre, à la main. Bref, une époque exigeante, même si ses exigences étaient inférieures à l'école d'avant, réservée à un petite partie de la population.

    Donc, alors qu'une part toujours plus grande des élèves du primaire rentrent au collège sans même maîtriser le français (lecture et écriture) et les mathématiques de base, même simplifiées, vous voudriez faire entrer l'enseignement d'une matière qui, loin d'être une science, est surtout un assemblage hétéroclite technique ?

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    1. Merci de votre commentaire 1/4. Je ne publierai pas les 3 autres. Pour moi, un commentaire doit rester un commentaire et pas devenir une tribune. Vous êtes sur Blogger. Publiez vos propres textes.
      Quand à votre point de vue, je vous encourage à relire l'article que je pense vous avez lu trop vite. Et par exemple, sur ce qui est de "l'esprit français", je me contenterai de pointer vers l'Angleterre, Israël, l'Allemagne, et des tas d'autres pays. Renseignez vous ! Votre réponse me semble tenir plutôt d'un esprit bien français et d'une certaine peur du changement.

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