vendredi 15 mars 2019

Centraliser ou non : le duel de l'informatique

Dans 2001, L'Odyssée de l'espace, Hal est le système informatique du vaisseau spatial Discovery One. C'est un système centralisé : une seule machine gère tout. Internet, en revanche, est un système informatique distribué, composé de centaines de millions de machines autonomes, hétérogènes, sans véritable autorité centrale. Le premier est anthropomorphique, presque de nature divine. Le second tient de la fourmilière. Le monde informatique offre donc tout un continuum de solutions, depuis le supercalculateur monomachine jusqu'aux systèmes totalement distribués comme Internet. Choisir entre centralisé et distribué, c'est le sujet de cette chronique. La conception des systèmes centralisés est beaucoup plus simple. Ils sont aussi plus faciles à mettre au point, et à débuguer - quand une erreur arrive, on n'a pas à se demander d'où elle provient. Mais leurs avantages se limitent là. Assumons le spoiler en prévenant que, dans la suite de cet article, nous ne ferons que souligner les avantages de la distribution sur la centralisation.
D'abord, contrairement à ce que l'on pourrait penser, les systèmes centralisés sont plus fragiles, plus instables. Une erreur au coeur du système peut entraîner le chaos. En s'en prenant au maître, on peut réussir à bloquer tout un service. Rien de tel avec un système décentralisé. Un mythe indique d'ailleurs qu'Internet a été conçu pour résister à des attaques, même nucléaires. En réalité, si le réseau Arpanet, à l'origine d'Internet, a bien été développé par la Darpa, une agence de défense du gouvernement américain, il l'a été pour faciliter les communications entre chercheurs. Reste que, grâce à la distribution, Internet est beaucoup plus résistant aux pannes qu'un système centralisé.
Un autre avantage de la distribution est le passage à l'échelle. L'exemple de la vidéo en ligne illustre parfaitement cet aspect. Dans une approche centralisée, les serveurs stockent des vidéos. Quand la demande augmente, les serveurs sont vite saturés et il faut en acheter d'autres, les installer : cela coûte cher. Dans une approche répartie, chaque client qui télécharge une vidéo en stocke une copie et peut à son tour délivrer le film à d'autres clients. On parle alors de pair-à-pair parce que, la hiérarchie s'estompant, chaque participant est à la fois client et serveur. Si ces approches pair-à-pair ont été, au départ, surtout utilisées pour le piratage, elles sont tout à fait compatibles avec la protection des droits d'auteur (les flux vidéo sont chiffrés et des DRM nécessaires pour les visualiser). Elles sont également beaucoup plus efficaces que les approches centralisées. Dans ce dernier cas, la vidéo va voyager sur le réseau, peut-être depuis le serveur d'un pays lointain ou au mieux à partir d'un « cache » (un serveur de soutien moins éloigné). Dans le cas distribué, la vidéo a une forte chance d'être disponible dans le voisinage du client. Les économies d'électricité pour visionner une vidéo sont alors vraiment conséquentes - cette année, 74 % de tout le trafic internet mondial sera de la vidéo en ligne !
Un dernier avantage, moins simple à quantifier : la distribution encourage la diversité. Un système centralisé utilise un logiciel particulier relativement figé. Dans un cadre réparti, une fois qu'une infrastructure de base est disponible (par exemple, Internet), de nombreux logiciels peuvent être proposés, entrer en compétition et évoluer à la manière de systèmes biologiques. La distribution est pour beaucoup dans la créativité débridée de l'informatique depuis sa création.
Les tensions entre solutions centralisées et distribuées existent depuis les débuts de l'informatique. Récemment, la plus sournoise est une bataille autour du Web. Nous nous sommes habitués à trouver sur la Toile des services décentralisés fantastiques, comme des moteurs de recherche, des encyclopédies, des sites de commerce en ligne... Une tendance actuelle est pourtant d'écarter l'utilisateur du Web pour le fixer dans des systèmes particuliers. Nous sommes de plus en plus prisonniers des applications de nos téléphones ou de systèmes comme Facebook ou Snapchat qui se proposent comme point d'entrée centralisé du monde. La liberté apportée par la distribution des services sur le Web est-elle en danger ?
Cet article est paru dans Le magazine La Recherche, N°528 • octobre 2017
ChroniqueLaRecherche  

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