à l'invitation d'Emmanuel Bertin, d'Orange
Ethical data management
Prenons le transport urbain. Une ville reçoit des données des
sociétés de transport public, des entreprises de voitures de transport
avec chauffeur (VTC), des gestionnaires de parking... À partir de ces
données, elle peut participer à la mise en place d'une application pour
smartphone afin de faciliter le déplacement multimodal (transports
publics, vélo et autopartage...) des citoyens, décourageant l'usage de
la voiture individuelle au profit de moyens de locomotion moins
polluants. Nous pourrions multiplier les exemples dans de nombreux
domaines, comme la planification urbaine, les travaux publics, la
sécurité avec la police ou les pompiers, les services sociaux,
culturels, ou l'énergie.
Si elle peut être plus efficiente, économe financièrement, la ville connectée questionne d'un point de vue politique. Les entreprises privées positionnées sur ce marché tendent à vouloir se substituer aux acteurs publics dans des fonctions qui étaient historiquement du ressort de ces derniers. Les arguments avancés pour le justifier sont multiples : des collectivités territoriales aux ressources insuffisantes, l'idéologie selon laquelle une gestion privée serait nécessairement moins coûteuse, ou encore le manque de compétences de certains responsables municipaux. Pourtant, la numérisation de la ville ne doit pas être l'occasion d'une perte du contrôle des politiques. La ville est, et doit rester, d'abord au service de ses citoyens.
Car les conséquences peuvent être lourdes. Les citoyens les plus démunis sont typiquement peu « rentables » financièrement et souvent ignorés de la smart city. Par exemple, ils peuvent avoir des difficultés à faire des demandes en ligne de prestations ou de services sociaux ; ils doivent être accompagnés et formés au numérique. Cependant, certaines initiatives mettent l'agilité de la ville au service des plus fragiles - le site Faciligo par exemple met en relation des personnes à mobilité réduite et d'autres voyageurs pour que ces derniers les accompagnent, moyennant une modeste rémunération.
Un autre risque de la smart city est de nous transformer en consommateurs amorphes de services municipaux numériques de plus en plus performants. Nous pouvons ainsi devenir passifs. Pourquoi trier nos déchets si le service municipal est si efficace ? Pourquoi nous intéresser même à ce sujet ? En général, pourquoi ne pas laisser les services numériques décider pour nous ?
Pourtant, la participation de chacun est indispensable pour maîtriser toute la complexité d'une ville moderne et gérer sa croissance, de possibles flux migratoires, la pollution... Dans certaines communes par exemple, les citoyens signalent sur un site web les revêtements de chaussée détériorés, afin qu'ils soient réparés. En Inde, pour lutter contre la corruption, le projet I Paid A Bribe, de l'organisation Janaagraha, encourage les citoyens à dénoncer sur Internet les pots-de-vin qu'ils ont payés.
La ville utilise trop peu les possibilités qui, au temps des algorithmes, lui sont offertes. Cette inadaptation des institutions à l'avancée des techniques participe à leur obsolescence et, au-delà, à la défiance grandissante des citoyens à leur égard. La cité doit mieux informer ses citoyens, notamment par l'ouverture de ses données. Ces derniers doivent également mieux participer à la conception de la ville, aux prises de décisions. À nous de réinventer la ville agile et connectée de demain pour en faire un lieu plus humain, plus inclusif, plus durable : une véritable cité.
Cet article est paru dans Le magazine La Recherche, N°540 • octobre 2018
ChroniqueLaRecherche
Si elle peut être plus efficiente, économe financièrement, la ville connectée questionne d'un point de vue politique. Les entreprises privées positionnées sur ce marché tendent à vouloir se substituer aux acteurs publics dans des fonctions qui étaient historiquement du ressort de ces derniers. Les arguments avancés pour le justifier sont multiples : des collectivités territoriales aux ressources insuffisantes, l'idéologie selon laquelle une gestion privée serait nécessairement moins coûteuse, ou encore le manque de compétences de certains responsables municipaux. Pourtant, la numérisation de la ville ne doit pas être l'occasion d'une perte du contrôle des politiques. La ville est, et doit rester, d'abord au service de ses citoyens.
Car les conséquences peuvent être lourdes. Les citoyens les plus démunis sont typiquement peu « rentables » financièrement et souvent ignorés de la smart city. Par exemple, ils peuvent avoir des difficultés à faire des demandes en ligne de prestations ou de services sociaux ; ils doivent être accompagnés et formés au numérique. Cependant, certaines initiatives mettent l'agilité de la ville au service des plus fragiles - le site Faciligo par exemple met en relation des personnes à mobilité réduite et d'autres voyageurs pour que ces derniers les accompagnent, moyennant une modeste rémunération.
Un autre risque de la smart city est de nous transformer en consommateurs amorphes de services municipaux numériques de plus en plus performants. Nous pouvons ainsi devenir passifs. Pourquoi trier nos déchets si le service municipal est si efficace ? Pourquoi nous intéresser même à ce sujet ? En général, pourquoi ne pas laisser les services numériques décider pour nous ?
Pourtant, la participation de chacun est indispensable pour maîtriser toute la complexité d'une ville moderne et gérer sa croissance, de possibles flux migratoires, la pollution... Dans certaines communes par exemple, les citoyens signalent sur un site web les revêtements de chaussée détériorés, afin qu'ils soient réparés. En Inde, pour lutter contre la corruption, le projet I Paid A Bribe, de l'organisation Janaagraha, encourage les citoyens à dénoncer sur Internet les pots-de-vin qu'ils ont payés.
La ville utilise trop peu les possibilités qui, au temps des algorithmes, lui sont offertes. Cette inadaptation des institutions à l'avancée des techniques participe à leur obsolescence et, au-delà, à la défiance grandissante des citoyens à leur égard. La cité doit mieux informer ses citoyens, notamment par l'ouverture de ses données. Ces derniers doivent également mieux participer à la conception de la ville, aux prises de décisions. À nous de réinventer la ville agile et connectée de demain pour en faire un lieu plus humain, plus inclusif, plus durable : une véritable cité.
Cet article est paru dans Le magazine La Recherche, N°540 • octobre 2018
ChroniqueLaRecherche