2 juillet 2015
vidéo :
http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6959.opecst--la-place-du-traitement-massif-des-donnees-dans-l-agriculture-2-juillet-2015
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
Audition publique sur « La place du traitement massif des données (big data) dans l’agriculture : situation et perspectives »
Les paysans sont vachement plus branchés que ce que je croyais. Respect !
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La transcription de mon intervention :
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Merci, Monsieur le Président. Je vais commencer par
dresser rapidement un panorama du domaine scientifique et technique.
Le point de départ, ce sont des avancées dans
les matériels, des mémoires beaucoup moins chères, des processeurs beaucoup
plus rapides qui ont conduit à la possibilité de construire des puissances de
calcul considérables, les fameuses « fermes de machines ».
Maintenant, on sait mettre ensemble des milliers de machines avec des mémoires
de téraoctets sur chaque machine, ce qui fait que nous avons une puissance
d’analyse de quantités d’informations considérable. C’est de cela que nous
parlons. Cela n’aurait pas été possible il y a vingt ans.
Cela se combine à un autre aspect de
l’évolution technologique : le développement d’objets communicants très
bon marché. Il faut voir là-dedans aussi des améliorations techniques, des questions
de prix. Des objets communicants, nous en avons depuis très longtemps. Maintenant,
on sait construire des objets communicants qui ne valent rien du tout et qui
peuvent vous permettre de couvrir tout un domaine agricole si vous voulez, d’en
mettre des tas dans des machines agricoles, etc.
Nous avons des données et des objets
communicants et déjà là, nous rencontrons des problèmes de la technologie :
Qu’est-ce que l’on fait comme analyses ? Qu’est-ce que l’on vous garantit
sur la qualité des résultats que vous obtenez de votre analyse ? Ces
objets communicants, que récupèrent-ils comme données ?
Qu’envoient-ils ? Il y a le problème de transparence des données, des
problèmes de confidentialité, plein de problèmes très intéressants et importants.
Quand on confronte une industrie à ces
nouvelles possibilités, typiquement l’industrie regarde cela de façon un peu
frileuse en disant : « Cela va
changer complètement notre façon de travailler. » Le problème est que
nous n’avons pas le choix. Si ce n’est pas l’industrie en question qui le fait,
ce seront d’autres, peut-être les grandes plates-formes Internet (pas besoin de
donner de nom), qui vont s’installer là-dedans et utiliser leurs compétences en
traitement de données, en data center, en analyse de données, en récupération
de données.
Nous avons commencé à avoir cela dans un
premier temps dans des domaines comme le Web avec la recommandation, le
commerce comparatif. Il est important de voir que c’est un beau laboratoire pour
ce qui est arrivé ailleurs. Nous voyons des entreprises qui se mettent dans un
domaine (je ne sais pas, l’hôtellerie), qui récupèrent des tas de données et
qui d’une certaine façon vont se mettre à concurrencer les professionnels du
domaine, ceux qui savent vraiment faire fonctionner des hôtels mais qui ne
savent pas gérer de l’information, gérer des données, et qui se retrouvent
d’une certaine façon coupés de la médiation avec leurs clients, avec tous les
risques que cela implique.
Les domaines d’application, nous les voyons
arriver l’un après l’autre. Il y a tout ce qui est transport avec les voitures
hyper-connectées. Maintenant, quand vous construisez une voiture, à peu près 50 %
du développement c’est du logiciel et de l’informatique. Et puis, la santé,
l’assurance, et (pour un enseignant-chercheur comme moi, ce qui est important) l’éducation.
Dans l’éducation, il y a aussi cette course à récupérer des données avec des
grandes plates-formes qui se placent devant les étudiants et qui pourraient à
terme remplacer les centres classiques d’enseignement.
Dans tous les cas, le phénomène est à peu près
le même. Les données, la concentration, l’existence de déluges de données ouvrent
des possibilités. Il faut bien comprendre que ce sont des possibilités,
extrêmement positives, de faire des économies d’installation, de développement,
et d’offrir aussi des fonctionnalités complètement nouvelles.
Pour ce qui est des risques, au Conseil national
du numérique, nous avons écrit un rapport sur la neutralité des plates-formes,
où l’on étudie dans différents domaines ce genre de problèmes, en mettant en
évidence de grandes similarités. C’est l’arrivée de nouvelles sociétés,
typiquement des grands du Web qui viennent s’installer dans un secteur
industriel et qui utilisent leur avantage sur la technologie numérique pour
d’une certaine façon pousser sur le côté les industriels du domaine, voire les
transformer en commodities.
Comment lutter contre cela ? Evidemment,
ce n’est pas quelque chose, surtout d’un point de vue national (quand toutes
ces sociétés sont américaines) que nous voulons laisser arriver sans rien faire.
Il y a évidemment le rôle des législateurs et
de l’Etat, en particulier le rôle de la communauté européenne à mon avis dans
ces domaines-là parce que très souvent, dans le numérique, les problèmes sont
transfrontières. Je crois aussi beaucoup à ce que peuvent faire les
utilisateurs de ces systèmes ; l’utilisateur peut décider de fonctionner
autrement, de ne pas se laisser imposer des choix. Il y a tout un paquet de
travaux sur les systèmes d’information personnels ou ce genre de choses. Enfin,
je crois surtout aux réponses des professionnels du domaine.
Là, il ne faut pas se fermer les yeux. Ce
n’est pas simple. Il y a une solution très simple qui est de dire : « Moi, je continue à faire mon boulot super bien,
j’ai mes clients, tout se passe bien, et je suis en train de tomber du centième
étage (c’est une image que prend François Bourdoncle), je suis au quarantième et
tout se passe toujours très bien. »
La question est qu’il faut prendre en amont le
problème. Je crois que dans ces cas-là, la solution, pour aller contre ces grandes
sociétés qui sont extrêmement puissantes, est de développer des écosystèmes ;
on ne va pas se lancer tout seul à l’attaque de Google ou de Facebook. C’est la
construction d’écosystèmes en s’appuyant sur la recherche en agriculture (vous
avez beaucoup cité l’INRA qui est extrêmement avancé), sur l’INRIA dont je fais
partie (qui est aussi très avancé dans tout ce qui est numérique), sur un tissu
de start-ups, sur les industriels du domaine.
Je veux vraiment insister là-dessus. L’écosystème
doit être le plus large possible. Par exemple, il ne faut pas regarder que
l’agriculture. Je pense que dans ce cadre-là, c’est aussi toute l’industrie
agroalimentaire qui est concernée, c’est aussi l’industrie de la distribution.
C’est un problème qui est plus grand que juste regarder ce qui se passe dans
les champs.
Pour conclure, je vais juste faire des analogies.
Je ne connais pas grand-chose à l’agriculture, pour ne pas dire que je ne
connais rien. J’ai essayé de regarder les analogies avec les domaines que nous
avons regardés au Conseil national du numérique. Quand vous voyez un tracteur
bourré d’objets communicants, vous êtes très près de ce qui se passe dans le
transport routier. On peut apprendre énormément de choses sur le comportement
des agriculteurs, comme on peut apprendre énormément de choses sur le comportement
du conducteur.
Il y a un autre domaine qui à mon avis a
beaucoup de similarités, c’est la santé. Dans la santé, essentiellement ce que
l’on a beaucoup développé avec la médecine moderne, ce sont des méthodes
générales pour soigner les êtres humains. Avec le numérique, on peut s’approcher
de méthodes beaucoup, beaucoup plus personnalisées. On peut connaître chaque
personne, chaque individu, voire modéliser chaque personne. Si ce sujet vous
intéresse, la leçon inaugurale de Nicolas Ayache au Collège de France est
brillante là-dessus, sur la santé personnalisée. Je pense que dans
l’agriculture (encore une fois, excusez mon incompétence sur le sujet), c’est
un peu la même chose. On peut personnaliser beaucoup plus l’agriculture. Personnaliser,
dans ce cadre-là, cela veut dire la localiser beaucoup plus. Il y a très
longtemps, le paysan connaissait vachement bien son champ, il connaissait bien
la météo locale. Avec l’agriculture intensive, on a perdu un peu de cette
proximité. Avec le numérique, il y a possibilité peut-être de revenir à un
traitement beaucoup plus proche du terrain, et évidemment d’appliquer des
agricultures plus écologiques, plus intelligentes.
-- intervention --
Je voudrais intervenir sur le cœur du débat,
qui est, à mon avis, la propriété et le contrôle des données. Après, on peut
trouver des tas de business model
autour de cela mais des données sont produites par l’agriculteur quand il
conduit son tracteur par exemple et dans d’autres cas. La question est : Quelle
est la propriété ou plutôt quel est le contrôle puisque la propriété est un
terme confus ? Qu’est-ce qu’on fait avec ces données ? Qui contrôle
ces données ? A mon avis, nous ne devons avoir une attitude angélique. Si
on laisse faire n’importe quoi, il se passera n’importe quoi. Dans le cadre des
données personnelles, on commence à voir des associations d’utilisateurs. La
communauté européenne ou le Gouvernement français commencent à se mobiliser
pour essayer d’instaurer un peu de réglementation mais aussi de pratique. Quand
vous allez chez Facebook et que vous signez un papier comme quoi vous donnez
toutes vos informations à Facebook, c’est vous qui l’avez accepté. Les
agriculteurs doivent aussi – ainsi que leurs associations et leurs organismes –
comprendre que laisser toutes leurs données à la disposition des constructeurs,
c’est juste quelque chose qui ne devrait pas être acceptable. Ils peuvent être
aidés par les réglementations, par les pouvoirs publics, mais il leur revient
d’abord de comprendre que la donnée et le contrôle de cette donnée sont une
puissance considérable.