La globalisation de la société s'accompagne d'une autre globalisation peut-être aussi effrayante, celle de la vie privée. Après la famille, la tribu, le village, la ville, vous voilà plongés dans le réseau universel. Du 22 à Asnières, vous êtes passés brutalement à machin@gmail.com. Comme vos jobs, vos adresses sont délocalisées. Vous n'êtes plus nulle part et pourtant jamais vous n'avez été aussi suivis, tracés, espionnés : CCTV, Navigo, GPS, CB, etc. Vos trucs à vous, votre petite vie étriquée qui n'intéresse personne, sont exposés dans leurs moindres détails.
Une bêtise de jeunesse que vous vouliez cacher, des goûts que vous préféreriez garder pour vous, des entorses banales à la loi ou à des morales trop étriquées. Tout peut y passer ! Pas de droit à l'oubli, pas de droit au secret. Des pages Web viennent réveiller des souvenirs que vous aimeriez gommer, des blogs, des forums, les ressasser, leurs images peut-être vous hanter. Vous n'êtes rien et pourtant, vous vous mettez à exister dans des recoins du Web contre votre gré. Des ennemis ou pire des "amis" viennent vous rappeler vos erreurs, ou juste raconter, déformer des vérités qui ne leurs appartiennent pas. Et puis la rumeur peut enfler, et détruire encore plus efficacement que la langue de vipère ou le corbeau d'antan. Comment lutter contre une pieuvre qui enveloppe la terre avec la mémoire infinie de ses téraoctets ?
On vous avait dit que le Web apportait la connaissance universelle. On avait oublié de vous dire qu'il traînait dans ses guêtres, la commère de tous les commérages. L'informatique procure des moyens considérables pour obtenir des informations sur vous, les stocker dans des bases de données innombrables - vos comptes bancaires, vos mails sur Google, vos amis sur Facebook, vos bookmarks sur Firefox Sync, etc - et maintenant les disséminer. Les lois sur la protection de la vie privée (comme Informatique et Liberté) se révèlent bien inefficaces devant l'ampleur du problème.
Est-ce que la techno qui nous a mis dans ce merdier peut nous sortir de là? Je crains que non. La loi pourrait. Mais j'ai peur que les remèdes ne soient bien pires que le mal. Un flicage intensif ne servirait que les dictateurs et les moralisateurs de tous poils.
Alors on fait quoi ? On peut s'acheter une île, y interdire les nouvelles technologies, ou à défaut de l'argent pour, rejoindre les derniers rescapés du fléau, SDF et autres IAPF (Internet Access Provider Free).
Il faut plutôt apprendre à vivre avec ces nouvelles technologies. Il faut apprendre à ne pas mettre tout et n'importe quoi sur le Web. Publier le nom de votre coup de foudre d'hier soir sur Facebook, ce n'est peut-être pas très intelligent. Mettre la photo d'un pote très ému sur votre blog, ce n'est pas drôle. Il faut apprendre à se protéger. Il faut développer pour le Web, des règles de bases de vie en communauté.
PS : Dr. Twitter et M. Carpe. A coup de blogs, de tweets, et autres instruments de ramdam, nous prenons tant de plaisir à nous raconter dans un étalage qui donne parfois le vertige, la nausée. Et en même temps, on aimerait vivre caché? On veut dire ou on veut taire ? C'est quoi cette schizophrénie ?