Chaque jour du confinement, Laïa sort de chez elle à la même heure. Chaque jour, elle reste loin des murs, pousse la porte de la cour du pied, allume l’interrupteur avec la clé… La ville hantée par le virus est encore fraiche dans le petit matin. Pour minimiser les contacts qui pourraient transmettre la sale bête, elle choisit les rues les plus pourries, les plus abstraites. Dans le printemps glorieux, dans la ville muée en Zone à Défendre, avec personne pour la défendre, le futur est incertain et la liberté de la balade a un parfum d’angoisse.
Théo se balade dans la ville interrompue. La nature se venge des supplices subis depuis des siècles, de la destruction créatrice de l’homme. La pandémie passée, est-ce que tout sera oublié ? L’histoire de la planète retrouvera-t-elle son cours suicidaire ? Il préfère penser qu’il vit les indispensables prémices d’une ère nouvelle, que demain inventera une pensée inédite, de nouvelles façons de vivre écologiques.
Laïa s’attarde devant un mural près du Rosa Bonheur fermé au public. Elle oublie la Covid et la ville pour ne plus voir que la plage et la mer.
Plus que le mural, c’est le dos de la jeune fille qui a attiré Théo. Il a attendu patiemment qu’elle regagne le monde réel pour oser lui adresser la parole. Ni lui ni elle ne se souviendront de leurs premières phrases. Les premières gênes passées, il a proposé de se promener ensemble ; elle a accepté. Ils se sont empressés d’indiquer à leurs applis Covid ce qu’ils allaient faire.
Quand le temps aura passé, quand sera estompé le souvenir de Covid 19, il faudra expliquer aux enfants qu’aux temps du Grand Confinement, quand on sortait, il fallait renseigner un formulaire en papier ou électronique pour dire à quelle heure on partait et pourquoi : aller bosser s’il était indispensable de se déplacer pour ça, faire des achats de premières nécessités, s’occuper des chiens et des personnes vulnérables, etc.
Ils ont renseigné : « déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile. » Ils ont fait semblant de ne pas remarquer la contrainte du « même domicile ». Laïa aurait préféré énoncer la vérité : « promenade avec mon futur premier amour ». Mais, si les bureaucrates qui ont rédigé ce formulaire ont sans doute eux aussi connu un premier amour, ils n’ont pas jugé utile de rajouter une telle case.
Les jours suivants, Laïa et Théo ont pris l’habitude de se retrouver chaque jour à la même heure devant le mural pour une balade dans le murmure des temps disparus. Quand ils sont réunis, la ville n’appartient plus à personne, pas même aux clodos abandonnés à leur sort, qui hantent ses rues, pas plus aux pigeons, corneilles, rats… qu’aux platanes, marronnier, tilleuls… qu’aux fleurs sur les balcons. Ils la partagent avec toute une variété de sociétés présentes et passées. Chaque objet, chaque son, chaque couleur propose sa propre vie, sa propre rêverie.
Laïa a fini par poser la question, pas encore celle de choisir quand ils feraient l’amour pour la première fois, mais celle de savoir s’il voulait bien l’embrasser malgré la distanciation sanitaire imposée. Théo hésitait à joindre leurs deux bouches : si Laïa se fichait d’attraper la sale bête, lui vivait avec une grand-mère asthmatique qu’il fallait protéger de la Covid.
Théo a tenu bon pendant une semaine… jusqu’à ce que la famille embarque la grand-mère pour la mettre en sécurité chez des cousins, en Lozère. Laïa a alors rejoint son amoureux dans l’appartement où il se retrouvait seul. Ils ont rattrapé le temps perdu.
Les jours ont passé. Théo aimerait qu’ils se chopent tous les deux le virus. Il faudrait juste qu’ils soient contaminés bien avant que la grand-mère ne revienne à Paris. Comme cela, si on en croit les médecins, elle ne craindrait plus rien d’eux et rien n’empêcherait Théo et Laïa de continuer à s’envoyer en l’air chez la mère-grand revenue de Lozère qui leur mijoterait de bons petits plats. Le bonheur !
C’est leur plan mais comment attraper le virus quand tout le monde met autant d’énergie à l’éviter ?
Théo se dit qu’ils leur suffiraient peut-être de trainer du côté des Buttes Chaumont en embrassant des inconnu.es.
Théo se balade dans la ville interrompue. La nature se venge des supplices subis depuis des siècles, de la destruction créatrice de l’homme. La pandémie passée, est-ce que tout sera oublié ? L’histoire de la planète retrouvera-t-elle son cours suicidaire ? Il préfère penser qu’il vit les indispensables prémices d’une ère nouvelle, que demain inventera une pensée inédite, de nouvelles façons de vivre écologiques.
Laïa s’attarde devant un mural près du Rosa Bonheur fermé au public. Elle oublie la Covid et la ville pour ne plus voir que la plage et la mer.
Plus que le mural, c’est le dos de la jeune fille qui a attiré Théo. Il a attendu patiemment qu’elle regagne le monde réel pour oser lui adresser la parole. Ni lui ni elle ne se souviendront de leurs premières phrases. Les premières gênes passées, il a proposé de se promener ensemble ; elle a accepté. Ils se sont empressés d’indiquer à leurs applis Covid ce qu’ils allaient faire.
Quand le temps aura passé, quand sera estompé le souvenir de Covid 19, il faudra expliquer aux enfants qu’aux temps du Grand Confinement, quand on sortait, il fallait renseigner un formulaire en papier ou électronique pour dire à quelle heure on partait et pourquoi : aller bosser s’il était indispensable de se déplacer pour ça, faire des achats de premières nécessités, s’occuper des chiens et des personnes vulnérables, etc.
Ils ont renseigné : « déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile. » Ils ont fait semblant de ne pas remarquer la contrainte du « même domicile ». Laïa aurait préféré énoncer la vérité : « promenade avec mon futur premier amour ». Mais, si les bureaucrates qui ont rédigé ce formulaire ont sans doute eux aussi connu un premier amour, ils n’ont pas jugé utile de rajouter une telle case.
Les jours suivants, Laïa et Théo ont pris l’habitude de se retrouver chaque jour à la même heure devant le mural pour une balade dans le murmure des temps disparus. Quand ils sont réunis, la ville n’appartient plus à personne, pas même aux clodos abandonnés à leur sort, qui hantent ses rues, pas plus aux pigeons, corneilles, rats… qu’aux platanes, marronnier, tilleuls… qu’aux fleurs sur les balcons. Ils la partagent avec toute une variété de sociétés présentes et passées. Chaque objet, chaque son, chaque couleur propose sa propre vie, sa propre rêverie.
Laïa a fini par poser la question, pas encore celle de choisir quand ils feraient l’amour pour la première fois, mais celle de savoir s’il voulait bien l’embrasser malgré la distanciation sanitaire imposée. Théo hésitait à joindre leurs deux bouches : si Laïa se fichait d’attraper la sale bête, lui vivait avec une grand-mère asthmatique qu’il fallait protéger de la Covid.
Théo a tenu bon pendant une semaine… jusqu’à ce que la famille embarque la grand-mère pour la mettre en sécurité chez des cousins, en Lozère. Laïa a alors rejoint son amoureux dans l’appartement où il se retrouvait seul. Ils ont rattrapé le temps perdu.
Les jours ont passé. Théo aimerait qu’ils se chopent tous les deux le virus. Il faudrait juste qu’ils soient contaminés bien avant que la grand-mère ne revienne à Paris. Comme cela, si on en croit les médecins, elle ne craindrait plus rien d’eux et rien n’empêcherait Théo et Laïa de continuer à s’envoyer en l’air chez la mère-grand revenue de Lozère qui leur mijoterait de bons petits plats. Le bonheur !
C’est leur plan mais comment attraper le virus quand tout le monde met autant d’énergie à l’éviter ?
Théo se dit qu’ils leur suffiraient peut-être de trainer du côté des Buttes Chaumont en embrassant des inconnu.es.