[Tous les vendredis de juillet et août, une nouvelle sur ce blog.]
L’inspectrice Myriam Benhamou, une analyste de
la scientifique, a découvert des bots malicieux datant du 21e siècle,
de vrais dinosaures. Qu’ils aient pu ne pas être détectés par les hackers de la
police pendant plus de quatre siècles défiait toute logique. Cela voulait aussi
dire qu’ils avaient su se transformer pour traverser plusieurs générations de
logiciels, de systèmes d’exploitation, de langages de programmation, de librairies
de codes, un exploit pour des bots aussi anciens, du jamais vu selon les
historiens des techniques.
Myriam a pu expliquer comment ils sont passés
entre les mailles des cyberflics :
·
Les effets de chacune de leurs
interventions sont calculés pour être faibles, en dessous du seuil
détectable ; ils évitent ainsi l’effet aile de papillon. Ils
travaillent par toutes petites touches, comme dans un tableau impressionniste. Du
coup, ils restent sous les radars.
Ces bots arrivent pourtant à avoir des effets à
long terme. C’est en tombant par hasard sur l’un de ces effets que Myriam les a
découverts. Une céramiste du 21e siècle, Ankhti, est restée
marginalement connue de manière continue pendant plus de quatre cents ans. Statistiquement,
elle était quasi certaine de plonger dans l’oubli. C’est le destin de presque
tous les artistes. La probabilité de devenir une valeur indétrônable comme
Picasso ou Richter est extrêmement faible. Mais se maintenir pendant aussi
longtemps, juste à la marge, seulement connue d’un petit nombre quasi constant
d’internautes, ni star, ni oubliée, c’était juste improbable, impossible.
·
Improbable ou impossible ?
interroge Amram, le fils de Myriam, féru de précision.
·
Hyper improbable, précise Myriam.
Tu fermes les yeux et tu bouges au hasard ton Rubics Cube pendant dix minutes.
Quand tu t’arrêtes, a-t-il une chance d’être bien rangé ?
·
Non c’est impossible.
·
Ce n’est pas impossible, mais
hyper improbable !
Seul un code génial manipulant au cordeau les
systèmes de recommandation des moteurs de recherche et des réseaux sociaux pouvait
réaliser un pareil exploit.
Myriam a trouvé une dizaine de clones d’un même
bot qui participaient discrètement à faire qu’Ankhti reste connue d’une poignée
d’internautes. Le code de ces bots savait se transformer en passant d’un
système informatique à un autre. Il restait reconnaissable par l’identifiant bizarre
qu’il utilisait pour parler de lui-même : 7Ame.
Myriam a tout bêtement baptisé ce bot 7Ame.
Encouragée par sa découverte, elle a cherché
d’autres bots. Après des jours de calculs sur des milliers d’ordinateurs d’Interpol,
elle en a trouvé deux : Xìngfú et Cabeza de Halcón qui, avec des algorithmes
sensiblement différents, faisaient eux aussi la promotion bridée d’Ankhti. Y-en-avait-il
d’autres ? Comment savoir ?
Son fils Amram a répondu à ces deux questions :
·
Il t’en manque un seul et je
l’appellerais « Tête de Chacal ».
·
Déballe ta blague !
·
Cabeza de Halcón, Tête de Faucon
en français. Ça fait Egypte antique. J’ai regardé. C’est un des fils d’Horus, Kébehsénouf,
représenté par un homme à tête de faucon. Un autre s’appelle Amset, 7Ame en
verlan. Un troisième fils, Hâpi, m’a donné du mal. Xìngfú, c’est du chinois, ça
veut dire Joyeux en français, Happy en anglais. Ils sont internationaux tes
hackers…
·
Et tu étais sérieux avec Tête de Chacal ?
·
Farpaitement. Le quatrième et
dernier fils d’Horus, Douamoutef, est représenté par un homme à tête de chacal.
·
Ce gosse m’épuise ! Comment t’as
eu l’idée de tout ça ?
·
C’est la semaine de l’Égypte
Antique à l’école.
Myriam n’a pas trouvé de bot « Tête de
Chacal », mais un Jackal’s Head,
« Tête de Chacal » en anglais. S’ils avaient utilisé du turc ou du
serbe, ça aurait été plus difficile.
L’histoire qu’elle raconte dans la classe d’Amram,
pour une séance de Show and Tell :
·
Voici un hologramme d’une
céramique du 21e siècle conservée au Musée de la Céramique de Sèvres.
L’artiste s’appelait Ankhti et sa biographie explique qu’elle était la Grande
Prêtresse d’un culte secret à Isis et Osiris, des Dieux de l’Égypte Antique.
Elle affirmait être l’incarnation de Shou, le souffle de vie.
·
Mais le 21e siècle
c’était bien après l’Égypte Antique ? interroge Lila, une jolie gamine,
qui se trouve être la petite amie d’Amram. Plus personne n’adorait Isis ou
Osiris au 21e siècle.
·
Tu as raison, répond Myriam. L’Égypte
Antique s’achève avant l’an zéro.
·
Ces religions se sont vraiment
arrêtées au IVe siècle quand elles ont été interdites par les empereurs romains
chrétiens, précise Madame Li, la maitresse. Ankhti devait être une personne
très particulière.
·
Regardez bien, sur le vase, reprend
Myriam, ce jeune homme avec une fleur de lotus
dans les cheveux derrière la vieille dame penchée sur son
tour de potier. Il est là pour la protéger. La vieille dame c’est sans doute
Ankhti, la céramiste elle-même. Le jeune homme, c’est Néfertoum, le fils de
Ptah et de Sekhmet, le dieu de la résurrection et de l'immortalité. On le
retrouve d’ailleurs dans la feuille de lotus, qu’Ankhti appose à côté de sa
signature. Elle se place sous la protection du Dieu Néfertoum. Ankhti a dû
aller au Musée du Caire voir le Trésor de Toutankhamon dont la maitresse vous a
parlé. Elle a peut-être eu une révélation devant la momie de Toutankhamon.
·
Ou plus simplement en regardant une
vidéo de la BBC, interrompt Amram. Ou peut-être qu’elle était juste
frappadingue.
Myriam ignore le commentaire de son fils et
poursuit :
·
Madame Li vous a parlé du rituel
des morts. Ankhti aurait été embaumée suivant les rites égyptiens dans son
appartement de la rue Montmartre.
·
La Vache ! Elle habitait Cœur
de Paris, commente Lila.
·
Ankhti a pu ainsi renaître et
voyager jusqu’au royaume des morts. Elle a
voyagé dans la barque du dieu soleil Rê et traversé le royaume d'Osiris.
Pour ne pas plonger dans les ténèbres, l'oubli, la mort, le néant, elle a
demandé la protection des quatre fils d’Horus.
·
Amset, qui protège le foie, Hâpi,
les poumons, Douamoutef, l'estomac, et
Kébehsénouf, l'intestin, précise Amram.
·
Mais on sort carrément de
l’égyptologie classique, explique Myriam. Les 4 fils d’Horus se sont incarnés
en avatars sur Internet. Ils ont empêché le nom d’Ankhti de sombrer dans
l’oubli. Ils s’arrangeaient pour garantir qu’Ankhti reste connue d’une poignée
d’internautes. Tant qu’on parlait d’elle, elle continuait d’exister. Grâce à
eux, elle vivait toujours dans le royaume des ténèbres. C’est aussi grâce à eux
que nous parlons d’elle dans cette classe.
·
Et elle vivra pour toujours ?
interroge Lila.
·
Si c’est la volonté de Néfertoum,
répond Amram.
La volonté des Dieux n’est pas toujours celle de
la loi. Les fils d’Horus ne faisaient rien de mal. Pourtant, un juge a décidé
de faire désactiver Amset, Hâpi, Douamoutef, et Kébehsénouf. Il a jugé que la
consécration d’Ankhti par des bots violait la loi sur la manipulation
algorithmique de foule. Quelle foule ? Les fils d’Horus ne touchaient
qu’un tout petit nombre d’internautes.
Les avatars des fils d’Horus ont été traqués sur
tout le réseau et terminés. Le juge condamnait Ankhti à l’oubli, à la damnatio
memoriae, ce qu’Amram a trouvé dégueulasse. Myriam ne pouvait pas pu lui
donner tort.
Quelques jours plus tard, Amram reçoit un courriel
énigmatique de nefertoum@memphis : « Il fit naître ses dieux parèdres
en émettant des sons de sa bouche et Néfertoum fera vivre Ankhti pour
toujours. ». Amran court le montrer à Myriam :
·
Maman ! Néfertoum protège toujours
Ankhti.
·
Tu vois, conclut Myriam, il ne
fallait pas t’inquiéter pour elle. Le Dieu à la fleur de lotus ne l’abandonnera
pas.
·
Trop cool !
Myriam est une bonne fliquette, mais elle est
mère et hackeuse avant d’être flic.
[ Bêtises à Bloguer - Saison 2 ]
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