Deux géants de l’informatique : Maurice Nivat (à droite) et David Harel, lors d’un interview de David pour le blog Binaire, CC S. Abiteboul |
J’étais doctorant aux Etats-Unis quand j’ai rencontré Maurice Nivat pour la première fois. C’était à Santa Barbara, en 1979 je crois, pour un séminaire sur la théorie des langages, alors la branche peut-être la plus active de l’informatique théorique. Il y avait quelque chose de surréaliste à croiser dans les couloirs des Euler, des Newton, des Poincaré des temps présents : Jeff Ullman, Sheila Greibach et… Maurice Nivat, les pionniers de la théorie des langages et des automates. Assis au fond de la salle, ses questions pointues pouvaient terroriser certains conférenciers. Fumer une cigarette en discutant avec lui dans un des salons de l’hôtel a été pour moi un grand moment.
Maurice a participé à la construction de la communauté de recherche européenne en informatique. Il est le père du domaine en France, en particulier, pour ce qui est de la théorie. On a parfois reproché à l’informatique théorique française d’avoir été trop tournée sur elle même, sur ses sujets phares. Ce n’est pas la faute de Maurice. Quand je suis rentré des US dans les années 80, je travaillais sur la théorie des bases de données. Le sujet l’intéressait et nous avons organisé avec lui et Georges Gardarin un séminaire essentiellement pour attirer certains de ses anciens étudiants vers ce nouveau domaine. Il ne se contentait pas de labourer son territoire de confort.
J’ai plus tard côtoyé le Maurice « militant de l’enseignement de l’informatique ». Je suis tombé sur le sujet par hasard, parce qu’il fallait un académicien dans un comité. Maurice m’a rapidement contaminé – il savait être terriblement convaincant. Nous avons travaillé d’arrache-pied avec d’autres comme Gilles Dowek et Gérard Berry, sur des textes, dans des groupes comme le K12. Que de discussions acharnées, de moments de découragement, d’engueulades parfois, et le bonheur de voir émerger une pensée collective, de voir ces idées progresser dans la société.
Plus récemment, j’ai la chance de pouvoir dire qu’il était devenu un ami. Je n’oublierai jamais par exemple cette discussion devant une bière, dans un café près de la Gare du Nord, où nous avons parlé de tout, de son travail associatif pour la sauvegarde du patrimoine rural, de la vie, de la religion… Et comment oublier les moments dans sa maison d’Attainville, parfois avec son épouse, Paule, autour de thés ? La maladie commençait son travail de sape.
Ce que je retiens surtout de Maurice : l’intensité dans la recherche, dans la vie, dans son humanisme intransigeant, en tout.
Adieu Maurice. Tu vas manquer.
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