La
chronique précédente portait sur la tension entre système centralisé,
où une seule machine gère tout, et système décentralisé. La
centralisation a longtemps résisté dans le domaine des transactions
marchandes. Quand vous réservez le siège 25 de la voiture 8 du train
Paris-Aix-en-Provence de lundi midi, un système informatique centralisé
garantit que vous êtes le seul à réserver cette place (ou, en tout cas,
devrait le garantir). Les échanges commerciaux modernes s'appuient sur
les monnaies de banques centrales, telles que l'euro ou le dollar. La
propriété de biens immobiliers est assurée par les services centraux de
la publicité foncière. Nous pourrions multiplier les exemples de
centralisme de tels systèmes, même lorsque, parfois, ils utilisent de
fait des batteries d'ordinateurs autonomes. Si l'implantation est
décentralisée, l'autorité, qui peut être un « tiers de confiance », est
bien centralisée.
Depuis peu, des algorithmes complexes utilisant des puissances de calcul considérables proposent des échanges monétaires sans présupposer l'existence d'une autorité centrale. On leur imagine bien d'autres utilisations, comme de remplacer l'un des rares services d'Internet qui soient centralisés, celui qui permet de transformer les noms de domaines, tels que www.inria.fr, en adresses physiques de serveurs. Bienvenue dans le monde de la blockchain - autrement dit, la « chaîne de blocs » !
La technologie à la base des blockchains s'est d'abord fait connaître avec une nouvelle monnaie, le bitcoin. On peut acheter des produits avec des bitcoins ou les échanger contre des euros. La rencontre des algorithmes distribués et de la cryptographie au sein d'un « modèle économique » original permet à tout cela de fonctionner sans autorité centrale. La monnaie se libère du carcan des États !
Le protocole distribué de bitcoin, qui fait tout, de l'émission et l'échange de monnaie à la protection contre la double dépense, a été inventé par un (ou plusieurs) programmeur connu sous le nom de Satoshi Nakamoto, autour de 2008. Le secret entourant sa création, et son utilisation sur le dark Web (le contenu du Web accessible uniquement via des logiciels, des configurations ou des autorisations spécifiques), enveloppent cette technologie de mystère. L'intérêt récent des entreprises s'explique en partie par la popularité du bitcoin et de ses successeurs, et par des succès des blockchains, comme les échanges financiers entre entreprises. La technologie est encore jeune et nous voyons déjà arriver de nouveaux systèmes, comme Ethereum, blockchain open source.
Les mécanismes de blockchain permettent d'implanter un service ouvert et public de registre numérique. N'importe qui peut lire le registre, en garder une copie, écrire dedans, c'est-à-dire y enregistrer des transactions, au sens informatique comme au sens bancaire du terme. Les participants qui gardent des copies garantissent collectivement que les transactions sont réalisées l'une après l'autre, que les copies restent identiques, et qu'elles gardent bien la trace de toutes les transactions depuis le lancement de la blockchain.
Le problème, c'est d'arriver à mettre d'accord toutes les copies. La méthode historique pour aboutir à ce type de consensus est « une preuve de travail ». La résolution de cette preuve nécessite une puissance de calcul informatique énorme. Un attaquant qui voudrait tricher, par exemple en autorisant de vendre plusieurs fois le même objet physique, devrait fournir une proportion importante de la puissance de calcul de l'ensemble des participants. Ainsi, quelqu'un possédant 51 % de la puissance de calcul totale pourrait imposer sa loi et des transactions « truquées ».
Soulignons qu'avec les calculs considérables qu'elles requièrent pour enregistrer une transaction, les blockchains standards ne sont pas du tout écolos. Selon l'agence Reuters, le réseau bitcoin consommait, en 2015, 43 000 fois plus d'électricité que les 500 ordinateurs les plus puissants du monde. Mais nous voyons émerger des technologies qui, sans être catastrophiques pour la planète, se proposent de garantir une gestion décentralisée de données, transparente, ouverte, sécurisée. Nous y arriverons ; c'est juste une question de temps. Les effets sur l'économie d'une société moins centralisée, basée sur la confiance, sont encore à découvrir.
Cet article est paru dans Le magazine La Recherche, N°529 • novembre 2017
ChroniqueLaRecherche
Depuis peu, des algorithmes complexes utilisant des puissances de calcul considérables proposent des échanges monétaires sans présupposer l'existence d'une autorité centrale. On leur imagine bien d'autres utilisations, comme de remplacer l'un des rares services d'Internet qui soient centralisés, celui qui permet de transformer les noms de domaines, tels que www.inria.fr, en adresses physiques de serveurs. Bienvenue dans le monde de la blockchain - autrement dit, la « chaîne de blocs » !
La technologie à la base des blockchains s'est d'abord fait connaître avec une nouvelle monnaie, le bitcoin. On peut acheter des produits avec des bitcoins ou les échanger contre des euros. La rencontre des algorithmes distribués et de la cryptographie au sein d'un « modèle économique » original permet à tout cela de fonctionner sans autorité centrale. La monnaie se libère du carcan des États !
Le protocole distribué de bitcoin, qui fait tout, de l'émission et l'échange de monnaie à la protection contre la double dépense, a été inventé par un (ou plusieurs) programmeur connu sous le nom de Satoshi Nakamoto, autour de 2008. Le secret entourant sa création, et son utilisation sur le dark Web (le contenu du Web accessible uniquement via des logiciels, des configurations ou des autorisations spécifiques), enveloppent cette technologie de mystère. L'intérêt récent des entreprises s'explique en partie par la popularité du bitcoin et de ses successeurs, et par des succès des blockchains, comme les échanges financiers entre entreprises. La technologie est encore jeune et nous voyons déjà arriver de nouveaux systèmes, comme Ethereum, blockchain open source.
Les mécanismes de blockchain permettent d'implanter un service ouvert et public de registre numérique. N'importe qui peut lire le registre, en garder une copie, écrire dedans, c'est-à-dire y enregistrer des transactions, au sens informatique comme au sens bancaire du terme. Les participants qui gardent des copies garantissent collectivement que les transactions sont réalisées l'une après l'autre, que les copies restent identiques, et qu'elles gardent bien la trace de toutes les transactions depuis le lancement de la blockchain.
Le problème, c'est d'arriver à mettre d'accord toutes les copies. La méthode historique pour aboutir à ce type de consensus est « une preuve de travail ». La résolution de cette preuve nécessite une puissance de calcul informatique énorme. Un attaquant qui voudrait tricher, par exemple en autorisant de vendre plusieurs fois le même objet physique, devrait fournir une proportion importante de la puissance de calcul de l'ensemble des participants. Ainsi, quelqu'un possédant 51 % de la puissance de calcul totale pourrait imposer sa loi et des transactions « truquées ».
Soulignons qu'avec les calculs considérables qu'elles requièrent pour enregistrer une transaction, les blockchains standards ne sont pas du tout écolos. Selon l'agence Reuters, le réseau bitcoin consommait, en 2015, 43 000 fois plus d'électricité que les 500 ordinateurs les plus puissants du monde. Mais nous voyons émerger des technologies qui, sans être catastrophiques pour la planète, se proposent de garantir une gestion décentralisée de données, transparente, ouverte, sécurisée. Nous y arriverons ; c'est juste une question de temps. Les effets sur l'économie d'une société moins centralisée, basée sur la confiance, sont encore à découvrir.
Cet article est paru dans Le magazine La Recherche, N°529 • novembre 2017
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