Pages

mardi 20 novembre 2018

Le prix du numérique


Nous nous sommes également habitués à des services gratuits sur Internet, que ce soient des moteurs de recherche, comme Google ou Qwant, des réseaux sociaux, par exemple Facebook, ou des services de musique, tel Deezer. Accessibles quel que soit le niveau de revenu de l'utilisateur, ces services géniaux sont principalement financés par la publicité ou éventuellement par des abonnements. Leurs coûts d'exploitation sont modestes, du fait de la baisse des prix des ordinateurs et du relativement faible nombre d'employés. En avril 2013, l'application de messagerie instantanée WhatsApp comptabilisait 200 millions d'utilisateurs dans le monde, avec seulement 50 employés. Le logiciel d'un service du Web peut, lui, être reproduit à l'infini à un coût nul. C'est un bien non rival - que j'utilise WhatsApp n'empêche personne de faire de même. Reste à construire des fermes de serveurs pour accueillir les données, mais elles sont mutualisées entre tous les utilisateurs. Pour Facebook, en 2011, le coût d'exploitation n'était que d'environ 1 dollar par utilisateur mensuel actif. Chaque utilisateur supplémentaire apporte plus de profit et, effet réseau oblige, accroît l'attractivité du service. Avec la publicité, les géants d'Internet sont assis sur des mines d'or.

Dans ce contexte, il faut citer le cas des logiciels libres ou ouverts. Mis à disposition de tous, ils deviennent en quelque sorte des « biens communs ». Ce modèle se développe réellement : les serveurs du Web sont souvent des logiciels ouverts, comme nombre d'outils de programmation utilisés en apprentissage automatique.

Malgré tout, n'allez surtout pas expliquer aux cadres d'une grande banque que l'informatique ne coûte rien (j'ai essayé). Vous les verrez grimper au rideau : « On voit bien que ce n'est pas vous qui payez les machines et les salaires des informaticiens. » Mesdames et messieurs qui dirigez de grandes entreprises, relativisez ! Si des ordinateurs font une part importante du travail, - disons 80 %, pour 20 % des coûts -, ce n'est pas cher, même si cela représente une grosse somme d'argent.
Vous pouvez néanmoins poser la question de savoir pourquoi ce coût. Une première explication tient aux exigences de qualité. Quand un service de votre téléphone dysfonctionne, c'est souvent embêtant, mais acceptable. Quand, dans une transaction bancaire, le bénéficiaire est crédité, mais que le logiciel oublie de débiter le payeur, ça l'est moins. Les entreprises exigent, à juste titre, un haut niveau de sûreté et de sécurité de fonctionnement. La résilience aux pannes (sûreté) et aux attaques (sécurité) se paie. Une autre explication vient de la complexité des grandes entreprises. De fait, chacune est unique. Ainsi, une grande banque exige la conception, le développement, le déploiement, la maintenance de logiciels complexes « sur mesure » de grande qualité. Comme tout cela est unique, pas question de mutualiser les coûts. La combinaison « qualité et sur-mesure », cela ne vous rappelle pas la haute couture ? Quand le directeur des systèmes d'information vous présentera une note un peu salée, pensez que vous vous offrez du Dior ou du Chanel...
 
Serge Abiteboul, Inria et ENS, Paris

Cet article est paru dans Le magazine La Recherche, N°534 • Avril 2018

ChroniqueLaRecherche

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire